Bientôt, j'en ai bien peur, Gérald Tremblay apprendra que son parti politique s'est abreuvé aux mamelles de la mafia et des truqueurs d'appels d'offres.

Quelle syncope il risque de faire, le pauvre. Appellera-t-il les Casques bleus? Se suspendra-t-il jusqu'à la fin de la Commission?

Déjà, la semaine dernière, le maire de Montréal voulait faire convoquer l'Assemblée nationale d'urgence pour empêcher les entreprises liées à la mafia de conserver leurs contrats avec la Ville.

C'est assez gênant, en effet, de voir à la télé six des dix principaux constructeurs d'égouts de Montréal aller rendre leurs hommages ou verser de l'argent aux chefs de la Cosa Nostra.

Mais faut-il absolument changer la loi? Pas nécessairement.

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La Régie du bâtiment peut révoquer ou suspendre la licence d'une société qui a violé une loi fiscale. Ou si un de ses dirigeants ou actionnaires a été déclaré coupable de certains crimes au cours des cinq dernières années.

Quels crimes? Une infraction «reliée aux activités que la personne entend exercer dans l'industrie de la construction». Ou une condamnation pour avoir participé aux activités d'un gang. C'est relativement limité.

Des crimes comme la tentative de corruption ne sont pas au nombre de ceux qui vous font perdre automatiquement votre licence.

Alors, à plus forte raison, difficile d'agir contre un entrepreneur sur qui reposent «seulement» des soupçons, ou à qui on ne peut reprocher que des fréquentations douteuses, sans la moindre condamnation...

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Le gouvernement péquiste dit qu'il proposera d'ici Noël de nouvelles dispositions pour barrer la route à ceux-là aussi.

Excellente idée. Peut-être en effet convient-il d'ajouter à la liste des motifs de suspension de licence.

Mais on peut déjà passer à l'attaque.

La Loi sur la construction comprend depuis 2011 un article fourre-tout sur lequel se penchent plusieurs avocats au moment où vous lisez ceci.

Que dit cet article? Que les dirigeants des entreprises de construction doivent être «de bonnes moeurs».

La Régie du bâtiment peut en effet, depuis un an, refuser une licence ou la révoquer lorsque cela serait «contraire à l'intérêt public».

Ce qui comprend les cas où un dirigeant «est incapable d'établir qu'il est de bonnes moeurs et qu'il peut exercer avec compétence et probité ses activités d'entrepreneur compte tenu de comportements antérieurs».

C'est large!

Ce que ça recoupe exactement, un juge finira sûrement par le dire. Mais on peut s'entendre pour dire qu'un dirigeant qui fréquente les chefs du crime organisé et leur verse une redevance n'a pas «de bonnes moeurs».

Simplement avec cet article, on peut donc déjà convoquer devant la Régie tous les entrepreneurs aperçus sur la vidéo de surveillance de la Gendarmerie royale du Canada. Ce serait alors à eux d'établir leurs bonnes moeurs, la probité de leurs opérations et d'expliquer leurs comportements douteux.

S'ils ne sont pas capables de justifier ces fréquentations et ces paiements, alors ils seraient bannis des contrats publics pour une période donnée, même s'ils n'ont jamais été condamnés devant une cour criminelle.

Bel outil, non?

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Il n'y a rien d'exorbitant là-dedans. On procède de la même manière devant la Régie des permis d'alcool. Plusieurs bars et restaurants ont perdu leur permis parce qu'ils «portent atteinte à la sécurité publique» ou la «tranquillité publique».

On a vu souvent des policiers défiler devant cette régie-là et décrire ce qui se passe dans le bar x (trafic de stup, trop de clients, trop de bruit en dehors des heures, etc.). C'est un système de contrôle de la sécurité publique relativement efficace.

Il faut une preuve, bien sûr, la personne visée a le droit de se défendre, et la décision peut être portée en appel. C'est assez de garanties.

Détenir une licence de construction et obtenir des contrats publics n'est pas un droit constitutionnel. C'est un privilège qui se mérite... au moins autant qu'un permis d'alcool!

Non pas qu'il faille des saints au passé sans tache. Mais il faut une probité certaine dans les affaires et dans les relations avec les donneurs de contrats publics. On a assez payé en trop, trop de tricheurs.

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Tout cela n'est d'ailleurs pas une vague hypothèse. Depuis un an, les inspecteurs de la Régie scrutent beaucoup plus sérieusement les entreprises, et pas seulement celles qui ont des dirigeants siciliens ou des actionnaires avec un casier judiciaire.

Ce virage n'est pas sans poser de problèmes - un vent de suspicion flotte sur toute l'industrie.

Mais le fait est que la Régie a des outils suffisants pour agir dès maintenant contre l'infiltration du crime organisé. Et même, quelle aubaine, une belle preuve bien grasse pour commencer à le faire.