Tolérance zéro en matière d'inconduite sexuelle: c'est ce que prêche le Collège des médecins en public.

Dans les coulisses, c'est une tout autre histoire. Une histoire d'incroyable complaisance. Dossier après dossier, depuis des années, le syndic du Collège des médecins recommande des sanctions insignifiantes, pourvu que le médecin s'avoue coupable.

Le syndic est pourtant censé être le gardien de l'intégrité de la profession. L'ultime protecteur du public. C'est lui qui reçoit les plaintes des patients et qui enquête sur les médecins. C'est lui qui les poursuit devant le «conseil de discipline».

À lire les décisions des dernières années, on voit à l'oeuvre un syndic plutôt mou, qui prend les médecins fautifs en pitié.

À l'été, après des années de passivité, le Conseil de discipline du collège s'est réveillé et a finalement dit: ça suffit!

Au lieu des deux petits mois de radiation recommandés par le syndic, le conseil a condamné le Dr Claude Gauthier, de Contrecoeur, à trois ans de radiation. Écart colossal qui dit assez bien le ras-le-bol du conseil de discipline.

Le Dr Gauthier avait eu des relations sexuelles avec une patiente dépressive dans son bureau à trois reprises en 2007.

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Le syndic savait que le médecin avait couché avec au moins deux autres patientes, mais plus probablement un total de six, entre 1985 et 2007.

Ces autres cas n'ayant pas fait l'objet de plaintes, ce n'était pas des «antécédents» disciplinaires. Le syndic estimait qu'on ne pouvait pas en tenir compte.

Peut-être pas des antécédents, mais des faits hautement pertinents qui auraient dû l'inciter à plus de sévérité!

Mieux encore: en 2007, on a trouvé des fichiers de pornographie juvénile dans l'ordinateur du cabinet du médecin, au milieu de milliers de fichiers pornographiques. Le médecin a entrepris des contestations judiciaires qui ont duré quatre ans.

Le syndic Mario Deschênes se disait «extrêmement inquiet» et réclamait la radiation d'urgence du médecin. Et soudain, en mars 2011, tout s'est dégonflé: le syndic a suspendu sa plainte. En échange, le Dr Gauthier s'est engagé à exercer en présence d'une infirmière et à se soumettre à une évaluation psychologique.

Et hop, la plainte a disparu, et la porno juvénile, on n'en parle plus.

On a affaire à un cas lourd, dirait-on, et pas simplement à un médecin qui a perdu la tête pendant quelques mois. Ça, le syndic Deschênes le sait mieux que quiconque. Comment peut-il recommander deux mois de radiation seulement?

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Il y a pire encore. En échange de son aveu de culpabilité pour inconduite sexuelle avec une patiente, le médecin a obtenu l'immunité. Immunité pour quoi? Pour toute autre inconduite sexuelle survenue entre 1985 et 2007. Concernant les cinq autres patientes connues... Mais aussi toutes celles qu'on ne connaît pas et qui pourraient surgir du passé.

Voilà une entente tout à fait extravagante, qui empêchera le syndic de recevoir une plainte de toute patiente contre le médecin.

Si ce n'est pas carrément illégal, c'est en tout cas inacceptable et ça va carrément contre la sacro-sainte protection du public.

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Deux mois pour une telle affaire, c'est si clément que c'est de nature à «miner la confiance du public», écrit le conseil, qui a décidé de faire le ménage une fois pour toutes.

Le conseil a passé en revue une douzaine de décisions rendues dans les dernières années où des médecins ont été condamnés à quelques mois seulement de radiation pour avoir couché avec une ou des patientes, le plus souvent dépressives, parfois pendant des années. Toutes sanctions recommandées par le syndic.

Conclusion: les infractions sexuelles des médecins sont punies peu sévèrement au Québec. Et chaque décision conforte le syndic dans sa recommandation suivante: que voulez-vous, c'est la jurisprudence! On a infligé cinq mois pour un cas avec deux victimes, on ne peut pas aller à plus de deux mois pour une seule... Y'a rien à faire! Chaque décision complaisante conforte la prochaine.

Pourtant, c'est le syndic lui-même qui a construit cette jurisprudence, en faisant entériner des ententes complaisantes où on a l'impression que c'est le médecin qui est la victime.

Le Code criminel nous dit que le consentement à une relation sexuelle n'est pas valide si le partenaire est dans une situation d'autorité. On parle pudiquement d'inconduite sexuelle puisqu'on est en discipline professionnelle, mais on pourrait parler d'agression sexuelle.

«Ces sanctions (clémentes) n'ont manifestement pas eu l'effet escompté de protéger le public en dissuadant les professionnels», écrit le conseil dans cette décision historique du 14 août.

Depuis 1997, «une quarantaine» de médecins ont été déclarés coupables d'inconduite sexuelle au Québec, certains plus d'une fois.

On ne peut pas démontrer que des sanctions plus sévères auraient dissuadé des agresseurs. Mais on doit constater au moins ceci: entre le discours public de protection du public et la réalité, il y a une énorme marge de complaisance.

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Cette complaisance n'est pas à l'oeuvre seulement en matière sexuelle. Voyez l'affaire du Dr Gilles Bourdon, à l'hôpital du Lakeshore. Le médecin a si mal travaillé qu'on doit reprendre 684 coloscopies. Autant de personnes qui se demandent aujourd'hui si elles ont le cancer, quand un médecin insouciant leur a pourtant dit que non.

Ce médecin a été accusé devant le Collège des médecins de divers actes de négligence. Malgré plusieurs indices d'une pratique erratique, malgré des inspections fort inquiétantes, le syndic du Collège a recommandé seulement deux mois de radiation.

Le médecin n'a apparemment pas pris son accusation trop au sérieux: en 2008, 5 ans après les faits reprochés, il avait 494 dossiers à compléter (les chirurgiens doivent faire un rapport d'opération rapidement, notamment pour les autres médecins, mais lui mettait des mois à le faire).

Le Conseil a suivi la recommandation du syndic et, en 2009, a radié le Dr Bourdon pour deux petits mois. Il ne semble pas qu'on l'ait suivi de très près depuis...

Voilà qu'un recours collectif est déposé contre l'hôpital du Lakeshore et le médecin.

M'est avis que bien des gens pourraient avoir une cause contre le Collège, un de ces jours.

La bonne nouvelle, c'est que le conseil de discipline a annoncé clairement la fin de l'ère de la complaisance.

La mauvaise, c'est qu'on ne change pas la mentalité d'un syndic du jour au lendemain. Qu'en est-il des dossiers qu'on ne voit pas? Ceux où le syndic décide de tout régler sans porter plainte?

Si c'est le conseil de discipline qui est obligé de secouer la «police de la déontologie», c'est que la protection du public est entre mauvaises mains.

Voyez à côté de ça la détermination féroce qu'on met à dégommer le «Doc Mailloux» - pour deux ans.

Celui-là au moins n'a violé personne, n'a charcuté personne.

Photo: André Pichette, La Presse