Il faut dire que l'effet de surprise avait été émoussé. La Commission avait été «scoopée» par Radio-Canada. Donc, depuis 10 jours qu'il était annoncé, Joe Pistone ne pouvait pas tellement nous étonner. Sa vie est un roman, mais on se l'est fait raconter en long, en large et en couleur.

Alors quoi?

Alors, dans les années 70-80, les grandes familles mafieuses de New York avaient installé un régime d'extorsion dans l'industrie de la construction, en infiltrant des sociétés et les syndicats.

Bien.

À part ça? Des nouvelles récentes de Saint-Léonard, Joe? Je vous montre une photo de bateau, là... Ça vous dit quelque chose?

Pas tellement, non...

«On met la table», a dit la procureure de la Commission, la semaine dernière. Nous voici donc tous attablés à écouter un expert, deux experts, trois experts, raconter de passionnantes histoires de Sicile, de Calabre, de New York et de l'Ontario...

(Ah! ça, j'avoue, l'Ontario, j'ai été bien déçu d'apprendre ça... Quoi, il existe de la corruption et du crime organisé au Canada hors Québec? Je croyais que c'était un phénomène lié au nationalisme québécois. C'est en tout cas ce que j'ai cru lire dans le Maclean's... Même le candide premier ministre de l'Ontario a pris la parole pour s'en scandaliser publiquement et nier la nouvelle. Comment dire? Wake up and smell the coffee, Dalton...)

Je suis absolument favorable à la pédagogie. Et je comprends qu'on essaie en ce moment de montrer comment, ailleurs, le crime organisé s'est immiscé dans le monde de la construction. Les schémas sont souvent les mêmes.

Et maintenant, on fera témoigner des experts policiers canadiens, qui viendront dire qu'on observe des choses semblables ici.

Sauf qu'il s'agit d'une commission d'enquête sur la construction et le crime organisé... au Québec... dans les 15 dernières années. Son mandat est suffisamment vaste, le temps est précieux, et on commence à s'impatienter.

On aurait aussi bien pu avoir un témoin des commissions Cliche (1974-1975, sur la construction), et de la CECO (1972-1976, sur le crime organisé) nous donner une perspective historique du phénomène ici. Après tout, il y a bien des recoupements à faire.

Autrement dit, il ne faut pas confondre ce qui est intéressant à analyser ou à comprendre et ce qui est pertinent aux fins d'une commission de type judiciaire.

La pertinence des comparaisons est assez limitée aux fins qui nous occupent. Que dans les années 70, à New York, on ait observé des phénomènes semblables est intéressant... Mais ce qui compte, c'est ce qui s'est passé et se passe ici, maintenant.

Les acteurs ne sont pas les mêmes, ni les lois, ni les syndicats. Il existe un Fonds de solidarité et diverses particularités. Que l'on pratique l'extorsion dans les chantiers comme à Palerme, ce n'est pas sans intérêt, mais ça ne change rien à l'affaire. L'essentiel est de prouver qui fait quoi ici.

Bref, après ce voyage dans le très général, on a hâte de voir se pointer le particulier.

On a eu le menu avec Jacques Duchesneau, on a mis la table avec les experts. Là, on commence à avoir faim de faits.

C'est le moment où l'on tape un peu du pied en disant: garçon, iriez-vous voir en cuisine si le témoin commandé est prêt?