On ne sait pas grand-chose de Richard Bain, mais assez pour avancer ceci: l'attentat meurtrier de mardi soir était moins politique que psychiatrique.

Qu'on cesse de dénoncer le ton agressif des débats politiques comme «cause». Ou... Twitter! Cet homme de bientôt 62 ans vivait retranché en forêt, pour ainsi dire, après une vie qui a toutes les allures de l'instabilité.

Quant aux débats politiques, aussi pénibles soient-ils parfois à l'Assemblée nationale, dans la rue ou dans les médias sociaux, ils ont rarement été aussi civilisés dans l'histoire. Les accusations de corruption, avec ou sans fondement, les dénonciations outrées et les hurlements intempestifs en politique ne sont pas une invention nouvelle.

A-t-on oublié cette annonce pleine page dans laquelle la Société Saint-Jean-Baptiste avait accusé les députés fédéraux québécois d'être des «traîtres» ? A-t-on lu ce qui s'écrivait dans les journaux et les pamphlets politiques des siècles derniers? Trudeau qui dit «fuck you» à des grévistes? Lévesque qui accuse des anglophones d'être des «Rhodésiens» ?

Je ne fais pas l'apologie des excès de langage politiques ni du niveau des débats à l'Assemblée nationale. Je dis simplement l'évidence: les dérapages sont indissociables d'un débat démocratique un peu vigoureux.

Ce n'est pas ça qui pousse un homme à s'en aller tuer la première ministre. Ce que c'est? Bien souvent la folie, sous une forme ou une autre.

Comme le caporal Denis Lortie, qui est entré en 1984 dans le parlement de Québec pour aller tuer les membres du gouvernement dans une crise de paranoïa. Il disait avoir exécuté la volonté de Dieu et suivi sa lumière...

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Le 20 janvier 1843, à Londres, Daniel M'Naghten, un ouvrier écossais, a tiré à bout portant sur un dénommé Edward Drummond, en pleine rue. Il est mort. Drummond était le secrétaire personnel du premier ministre britannique Robert Peel. M'Naghten croyait probablement avoir affaire à Peel lui-même - les photos dans les journaux n'existaient pas encore. M'Naghten se croyait persécuté et espionné par le gouvernement pour des raisons religieuses.

C'était une époque de tumulte politique et la reine Victoria avait fait l'objet de tentatives d'assassinat. Malgré tout, le jury acquitta M'Naghten pour cause de folie tant il était clair qu'il délirait au moment du crime (la cause a servi à fonder les règles de la défense d'aliénation mentale encore en usage aujourd'hui).

C'était il y a 169 ans. Le mot «psychiatrie» était encore une bizarrerie. Il n'y avait pas de médias sociaux, et les querelles politiques étaient souvent féroces. On a conclu que ce geste était celui d'un malade profond. Malgré les apparences, le geste n'était pas «politique». M'Naghten avait fixé son délire de persécution sur la personne du premier ministre, comme il aurait pu le faire sur une autre figure d'autorité ou sur quelqu'un d'autre.

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Difficile de dire, avec le peu que l'on sait, ce qu'il adviendra de cette affaire. Mais ce crime-là paraît déjà bien mal choisi pour illustrer les dérives de notre époque.

Le lien qu'établit un expert en sécurité avec les «loups solitaires» et le terrorisme post-11-septembre 2001 ne me paraît pas non plus très prometteur comme analyse.

En attendant de savoir mieux ce qui a pu se passer dans la tête de cet homme, il n'en reste pas moins qu'il a tué une personne et en a blessé une autre gravement. Il aurait pu se rendre jusqu'à la première ministre.

Alors, que ce soit pour des motifs politiques ou par folie, les effets sont les mêmes à plusieurs égards. Cela nous force à faire comme on a fait après l'affaire Lortie, comme après l'attentat contre Ronald Reagan, comme après le 11-Septembre et tout ce qui a suivi: réévaluer la sécurité. L'améliorer. La renforcer.

Devenir tristement, mais inévitablement, moins naïfs et plus méfiants.