Ce n'est pas qu'il était gêné de gagner une médaille de bronze. Mais avec un petit rire nerveux, Derek Drouin a avoué qu'il a été «un peu chanceux».

Ils sont six à avoir «effacé la barre» à 2,29 m, à égalité derrière les deux meneurs. Trois d'entre eux, dont Drouin, l'ont fait du premier coup. Ce sont eux qui ont eu le bronze.

Surpris, euh, un peu, il n'avait pas de drapeau canadien pour faire le tour de la piste. Il est allé chercher celui que ses parents avaient rapporté de Corunna, en Ontario, signé par la moitié du village...

En même temps, «chanceux», entendons-nous: des deux Canadiens, c'était le favori. À 22 ans, le gars de 1,93 m rafle pas mal tout au niveau universitaire américain et il a déjà fait 2,33 m.

Mais hier, quand la barre a été placée à cette hauteur, il n'est même pas passé près. «Franchement, je ne suis pas très fier de ma façon de sauter aujourd'hui, je l'avais pourtant facilement dimanche.» Et Michael Mason, de la Colombie-Britannique, a tout juste frôlé la barre à cette hauteur, qui aurait été pour lui un record. La barre a vibré... restera, restera pas...

Elle est tombée.

«J'étais vraiment déçu pour lui, mais c'est ce qui fait que j'ai une médaille. Après, je devais voir le résultat des autres, et ça, c'est vraiment affreux à regarder», a dit Drouin, en riant encore nerveusement. Sympathique, vous dites?

Son entraîneur, qui le fait sauter plus haut depuis qu'il a 15 ans, l'a pris dans ses bras et lui a presque fracturé les côtes.

Quand on pense qu'il était sur le carreau l'an dernier, après une triple déchirure des ligaments de la jambe d'appel...

«Le médecin n'arrêtait pas de me dire: c'est quand déjà tes qualifications olympiques? Hum...»

Alors cet hiver, son seul but réaliste était de se rendre à Londres sur deux jambes, dont une qui saute.

C'est peut-être pour ça qu'il est passé un peu «sous le radar» des médias, ce qui n'est pas pour lui déplaire. «J'aime bien passer inaperçu.»

Ce sera plus difficile, jeune homme. Surtout qu'à 22 ans, le plus haut est assez clairement à venir.

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Drouin a fini à égalité avec le Qatari Mutaz Essa Barshim et le Britannique Robbie Grabarz. Devant eux, deux sauteurs. D'abord l'Américain Erik Kynard (2,33 m, argent).

Mais surtout, en or, un sauteur, n'ayons pas peur des mots, un peu sauté: Ivan Ukhov. Un type qui n'en fait qu'à sa tête, qui porte des souliers de coureur avec des crampons et qui n'aime pas particulièrement les conférences de presse avec ces connards de journalistes, du moins c'est comme ça qu'on se sent, même sans la traduction simultanée.

Ukhov avait réussi 2,38 m. La barre a été mise à 2,40, ce qui aurait été son record. Premier essai: raté.

On lui dit d'attendre que les femmes courent leur 100 m haies. Hein, quoi? Attendre. Non. Il enlève ses souliers, il a déjà l'or, salut la compagnie, donnez-moi mon drapeau, rien à foutre du record.

Très jeune, on l'avait dirigé vers le basketball. Il se chicane avec son coach et envoie promener et le coach, et le basket.

Pour me venger, je vais faire... euh... lancer du disque! Il a plus ou moins aimé, faut croire. À 17 ans, il s'est mis au saut en hauteur. Tombé souvent. Ne se qualifie pas pour Pékin. Prend un peu trop de vodka et se présente saoul à Lausanne en septembre 2008 lors d'une compétition. Il avait sauté sous la barre, c'est une sorte de classique comico-athlétique.

Eh bien, le comique a pris du sérieux. Il a dépassé le champion olympique de 2008, le Russe Silnov, et peut-être passera-t-il en haut des 2,40 m.

Si ça lui tente!

Photo: PC

Derek Drouin