Il se passe de drôles de choses dans un marathon.

Cinq Africaines couraient devant et après 30 km, la vraie course pouvait commencer.

Tiens, une Russe. D'où sort-elle, cette blonde?

Shobokhova, sans doute (deuxième temps au monde)? Non, pas du tout. Cette Russe-là avait abandonné. C'était une trois quarts inconnue, Tatyana Petrova Arkhipova.

Au moment critique de la course, quand le réservoir est vide, que les Africaines avaient 10 grosses secondes d'avance et augmentaient le tempo, laissant de plus en plus loin la masse souffrante des autres un peu moins surdouées, juste là, il a fallu qu'un Russe se trouve sur le bord de la Tamise.

Un Russe anonyme qui a crié en russe: «Va les chercher, Tatyana!»

Elle est y est allée.Une Éthiopienne a décroché. Puis une Kényane. Bientôt, il restait deux Kényanes, dont la favorite, Mary Keitany (meilleur temps en 2012). Une Éthiopienne, Tiki Gelana. Plus la Russe. Les Kényanes se parlaient. C'était leur chance, enfin, deux sur quatre, le Kenya aurait sa médaille d'or au marathon féminin...

Mais ce n'est pas l'année du Kenya, on dirait. Quand Gelana a attaqué dans le dernier kilomètre, Keitany n'avait plus rien. Mal de dos causé par la pluie, a expliqué une coéquipière.

La Russe a suivi!

Avec une deuxième demie trois minutes plus rapide que la première, l'Éthiopienne a réalisé un nouveau record olympique (2h23:07), ce qui est toujours relatif dans une discipline où la température et le terrain varient.

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Ils diront que c'est la pluie, mais c'est le marathon, finalement: l'épreuve où les records ne veulent pas dire grand-chose et où l'imprévisible est toujours à prévoir.

Imprévisible? Pas tant que ça. Gelana a le deuxième  temps de l'année. La Kényane Jeptoo, en argent, est vice-championne du monde. La profondeur de talent des équipes éthiopienne et kényane est telle qu'on pourrait y engouffrer presque tout le reste de la course de fond mondiale.

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Gelana nous a montré le pansement sur son coude: quelqu'un l'a touchée comme elle allait chercher de l'eau, elle est tombée assez raide sur l'asphalte. À quoi avez-vous pensé ensuite? «À ne plus tomber!» Des fois c'est simple, la course...

Elle vient du mythique village de Bekoji, comme Bekele, comme la gagnante du 10 000 m, Dibaba, comme plein d'autres.

Y a-t-il d'autres coureurs dans la famille? «Mes parents, mes frères et soeurs... Tout le monde court, c'est un mode de vie».

Un journaliste un peu romantique a demandé si le marathon était une métaphore de la vie.

C'est pas une métaphore pantoute, c'est mon job, a répondu Jeptoo, mais beaucoup plus gentiment que ça.

«Une médaille d'argent, ça va changer ma vie, je vais pouvoir faire vivre ma famille, notre avenir est assuré.» Elle a dit ça tout doucement, on n'entendait presque pas.

Petrova Arkhipova, elle, a dit que sa carrière au 3000 m steeple (quatrième à Pékin) lui a bien servi pour éviter les flaques d'eau.

Elle vient d'un village qui s'appelle Karak-Sirmy, 750 km à l'est de Moscou. On y marche quatre kilomètres le matin et quatre kilomètres le soir pour aller à l'école. «Ça donne de l'endurance», dit-elle.

Cela s'appelle revenir de loin, mais elles reviennent toutes de loin, à courir 160 km par semaine.

Dans la salle, un homme souriait à pleines dents. Il s'appelle Mikhaïl Kuznetsov, c'est son entraîneur. Il parle le Russe, mais il gesticule l'anglais.

Trois! disaient ses doigts. C'est ma troisième médaille au marathon, monsieur (Yegorova, or en 1992, argent en 1996).

Bravo monsieur, vous faites un beau métier, ont bredouillé mes mains.

Photo: AFP

La Russe Tatyana Petrova Arkhipova, médaillée de bronze au marathon.