Clara Hughes est arrivée en souriant, et personne ne savait quelle question poser.

Trois secondes de silence et d'émotion, pour un peu c'est elle qui nous consolait.

- Ben quoi, les gars, allez-vous poser une question?

Il n'y avait pas de drame: après deux médailles de bronze en cyclisme à Atlanta (1996), une conversion au patinage de vitesse longue piste qui lui a valu le bronze à Salt Lake City (2002), l'or et l'argent à Turin (2006), puis le bronze à Vancouver, revenir au vélo et terminer cinquième dans un contre-la-montre aux Jeux olympiques à 39 ans, ce n'est pas ce qu'on appelle une déconvenue.

Il n'y avait pas de drame, juste une cérémonie des adieux avec une athlète que vous croyez quand elle dit: «Le sport m'a sauvé la vie.»

Si vous voulez mon avis, le sport aussi a eu bien de la chance d'avoir Clara Hughes.

Je me souviens de Salt Lake City, déjà on n'en revenait pas: seulement quatre athlètes olympiques avaient remporté des médailles l'été et l'hiver. Elle n'était même pas à mi-chemin.

Déjà le coup de foudre pour cette fille, ce mélange de détermination féroce et de vulnérabilité. Le charme athlétique absolu.

Déçue hier, oui, un peu, mais «les autres étaient meilleures, c'est tout».

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Quel souvenir veut-elle laisser?

«Que je faisais généralement les choses avec le sourire, que je gagne ou que je perde... Qu'il y a une chose à laquelle je n'ai jamais échoué: me vider sur la route. Tout donner: c'est ce qui m'a le plus satisfaite. J'aimerais qu'on retienne surtout ma manière, plus que mes médailles.»

Pourquoi avoir choisi des sports où l'on côtoie aussi intimement la souffrance?

«Je suis trop grosse pour courir (5'9, 152 lb), même si c'est souffrant ça aussi, pas assez habile pour les sports d'équipe... Et j'aime la solitude de mon sport, cette méditation mouvante... Le vélo, c'est moins difficile que le patin, quand les yeux veulent te sortir des orbites. Mais à partir de maintenant, l'idée de rouler plus bas dans l'échelle de la souffrance, juste pour rouler, ça me plaît...»

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À 15 ans, Clara Hughes était une adolescente de Winnipeg qui fumait et ne faisait pas de sport. Elle a vu à la télé Gaétan Boucher aux Jeux de Calgary, en 1988. Elle a décidé d'essayer le patin de vitesse. Ce qui l'a menée au vélo, puis au patin, et au vélo encore...

«Le sport, ça permet de transcender la souffrance, les dysfonctions de la vie, ç'a tellement fait de moi une autre personne, plus ouverte, plus intelligente... J'essaie de communiquer ça dans Right to Play.»

Sauf que le sport olympique, c'est bien fini. «Je ne sais pas si vous réalisez ce que c'est que de revenir au vélo après 10-12 ans, on met sa vie en danger, une voiture vous frôle, vous tombez dans un virage... À mon âge, je ne m'ennuierai pas de ça.»

On savait qu'elle avait chuté à l'entraînement au mois de mai. Hier, on a su qu'elle a subi une fracture à une vertèbre, et qu'elle a enduré des maux de dos atroces pendant un mois et demi en roulant, le printemps dernier.

La différence entre 1996 et 2012? «Oh, c'est tellement loin, j'étais une enfant et je suis une vieille dame...»

On rit tous.

Elle quitte la scène. Nous voilà seuls, un peu stupides, les yeux humides.

Quelle femme, quand même.

Photo: Reuters

Clara Hughes