Elle a l'air de quoi? Elle a l'air d'une nageuse. Pas particulièrement grande, enfin pas les armoires à glace est-allemande de l'époque du dopage d'État.

Des épaules, oui, mais avez-vous déjà vu une nageuse olympique sans épaules?

Au Centre aquatique olympique, en regardant de près Ye Shiwen à côté de l'Américaine Caitlin Leverenz, médaillée de bronze, il n'y avait rien, mais vraiment rien à signaler à l'oeil nu.

Ce qu'il y a à signaler, c'est le coup bas d'un entraîneur américain qui est allé l'accuser publiquement de dopage quand elle était encore en train de se sécher les cheveux après son record du monde de dimanche.

«Une performance incroyable dans le sens propre du terme», qui soulève des «doutes», a dit John Leonard.

Venant d'un homme qui dirige l'Association internationale des entraîneurs de natation, c'est grave. Il en a vu d'autres, me direz-vous, son analyse est experte. Peut-être la science lui donnera-t-elle raison dans une semaine ou dans cinq ans. Mais là, en plein milieu des compétitions, quand la suprématie américaine est ébranlée, c'est plus qu'imprudent.

Bien entendu, tout ça a été répercuté assez pour faire une moyenne chicane médiatico-diplomatique.

Cheap shot, John Leonard.

Résultat?

Hier, Ye Shiwen a remporté une deuxième médaille d'or, au 200 m quatre nages. Avec «seulement» un record olympique.

Une adolescente de 16 ans venait de gagner sa deuxième médaille d'or en trois jours. Mais au lieu des questions-bonbons, questions-bravos, questions-vos-parents-doivent-être-fiers, elle a eu droit à un interrogatoire sur le dopage.

Ye Shiwen ne méritait pas ça, là, tout de suite. En sport comme en droit, on est censé être innocent jusqu'à preuve du contraire.

À moins que ça ne s'applique pas aux nageuses chinoises...

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On vous dira que ça n'a rien à voir: c'est sa performance «incroyable» qui soulève les doutes.

Elle a battu lundi le record du monde par une seconde deux centièmes (l'ancien, datant de 2008, était de 4:29,45; le nouveau 4:28,43). Mais là n'est pas le stupéfiant.

Ce sont ses derniers 100 m, le style libre, qui ont fait hurler Leonard. Elle a fait mieux dans ces derniers 100 m que le vainqueur de la même épreuve masculine samedi, Ryan Lochte. Lochte, qui a réalisé ce jour-là la deuxième performance mondiale sur la distance.

Elle a parcouru ce dernier segment en 58,68, 5 centièmes de mieux que Lochte la veille.

Renversant en effet. Mais pharmacologique? Ce serait sympathique d'attendre un peu avant de conclure, surtout si on est un entraîneur de ce calibre...

Quand il avait 15 ans, Michael Phelps a battu le record du monde du 200 m papillon. Aucun coach n'a dit que c'était douteux. À 17 ans, il détenait cinq records du monde. Tout le monde a dit «oh!». Pourquoi le record de Ye serait-il moins valide?

Parce que, dit Leonard, la progression de Phelps, pour fulgurante qu'elle fut, était «normale», réplique Leonard. Comme celle de l'autre vedette chinoise de natation, Sun Yang, champion du 400 m libre: une progression logique qu'il ne remet pas en cause, précise-t-il.

«Cette nageuse-là ne vient pas d'arriver, on la connaît», dit pour sa part Pierre Lafontaine, le grand patron sportif de Natation Canada, qui refuse de jouer le jeu de la suspicion.

«On la voyait à 14 ans, elle était là l'an dernier au Championnat du monde (or au 200 m quatre nages); la Chine a plusieurs nageurs exceptionnels, dont elle. Ils s'entraînent sept jours par semaine (au lieu de six); ce n'est pas le genre de vie qu'on peut imposer dans notre pays. Si nos nageuses s'entraînaient sept fois par semaine... À savoir à long terme ce que ça fera, c'est à voir. On vit avec les avantages et les contraintes de notre mode de vie.»

Les nageurs chinois viennent d'ailleurs de se faire dire que l'entraînement recommence... le lundi après les Jeux Olympiques!

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Alors, Ye, comment réagissez-vous à toutes ces critiques?

«C'est un peu injuste mais je n'ai pas été affectée», a-t-elle dit placidement. Elle a très sagement remercié «mon entraîneur, mes coéquipiers, mes parents qui m'ont rendue forte, qui font que je ne suis pas dérangée par les bruits extérieurs.»

Oui, dit-elle, il y a un «préjugé» contre la Chine. «Quand les nageurs d'autres pays gagnent, on ne leur demande pas s'ils sont dopés.»

Elle n'a pas eu l'occasion de sourire beaucoup, sauf quand Leverenz a gracieusement repoussé toutes les allusions et dit que Ye avait nagé formidablement.

Oui mais est-ce possible qu'une femme parcoure une partie de la distance possible plus rapidement que le meilleur homme?

«On dirait bien que oui!»

Dans les années 1990, l'équipe chinoise de natation a fait face à plus de 30 tests positifs de dopage. Pas plus tard que samedi, une ancienne responsable médicale chinoise admettait avoir testé sur les nageuses des hormones de croissance, des transfusion sanguines et d'autres techniques de dopage. Elle affirmait du même coup que plusieurs pays occidentaux faisaient de même.

D'autres cas ont fait surface jusqu'en 2009, quand cinq nageurs chinois ont été suspendus pour dopage.

Est-ce que ça fait de Ye une nageuse Est-allemande nouveau genre? Jusqu'à la preuve du contraire, c'est plutôt une Phelps féminine qui entre en scène.

Photo: Reuters

Les performances de la nageuse chinoise Ye Shiwen, 16 ans, sont l'objet de suspicions.