C'est l'histoire d'un vieux Kazakh surnommé Vino qui n'arrêtait pas de prendre sa retraite. Une fois en 2007 pour dopage. Deux fois en 2011, d'abord pour grand âge, ensuite pour cause de fracture du fémur...

Mais qui revenait tout le temps. Et qui à la fin a gagné la médaille d'or.

C'est aussi l'histoire d'une équipe britannique qui s'imaginait déjà à la tête d'une sorte d'empire cycliste et qui s'est plantée, excusez-la, royalement, devant le balcon de la reine.

***

Reprenons du début, c'est-à-dire de la station de métro Green Park, où l'on arrive comme un samedi matin de juillet. Je veux dire un samedi pas de Jeux olympiques.

Comment se fait-il qu'il y ait tant de monde sur le parcours, une foule record pour du cyclisme, mais qu'on circule partout à Londres comme s'il n'y avait personne ?

J'arrive dans le « Parc vert », enfin vert, oui, mais pas plus que les autres, ils auraient pu se forcer question toponymie. Il mène à Buckingham Palace. On le contourne, on croise ces soldats en rouge avec leur chapeau en peau d'ours canadien. Il faut un ours par chapeau, c'est dire s'ils sont énormes, ou nos ours maigres. Vous imaginez combien d'ours courent nus dans nos forêts pour faire transpirer des soldats britanniques ?

L'entrée des médias est derrière le palais St. James.

La ligne d'arrivée de cette course cycliste de 250 km, qui fait cinq boucles de 50k, est sur le « Mall », l'allée pavée de rouge sur laquelle ont roulé tous les carrosses anglais depuis trois siècles.

Je suis dans la tribune juste devant, et dans quelques heures, comme tout le monde, j'attends que Mark Cavendish, le super-sprinter britannique, vienne chercher l'or, propulsé par la meilleure équipe cycliste nationale, menée par le champion (Bradley Wiggins) et le vice-champion (Chris Froome) du Tour de France.

Tout le monde et Cavendish plus que les autres. Il gagne à tout coup l'étape des Champs-Élysées, pourquoi pas ici ?

Parce que « c'est ça le sport », comme a dit Ryder Hesjedal après une décevante 60e place.

Cavendish est arrivé très, très tard, après tout le monde en vérité, même après Fabian Cancellara, qui est tombé assez fort pour se ramasser à l'hôpital.

Et il était amer. Mais amer ! Il a blâmé les Australiens, qui ont couru « négativement », et tous les autres qui ont fait exprès de ne pas les aider, contents de les voir perdre... Des paroles pas très olympiques, non madame.

***

Dès le début, pourtant, les Anglais semblaient imposer leur loi. Au quatrième tour, une douzaine de coureurs se sont détachés. Le peloton attendait de voir ce que les Anglais feraient... Ils ne faisaient rien. D'autres coureurs ont rejoint le groupe de tête, qui comptait bientôt plus de 30 cyclistes.

Wiggins a tout donné pour faire remonter l'équipe, mais sans aide, ils n'y sont pas arrivés. Les kilomètres passaient et le groupe demeurait entre 40 et 60 secondes devant.

L'ancien champion belge Philippe Gilbert a tenté une échappée pour se faire reprendre rapidement. Puis à la toute fin, Alexander Vinokourov et le Colombien Rigoberto Uran sont partis seuls. À l'arrivée, Uran a tourné la tête. Pendant ce temps Vinokourov le coiffait.

***

Vinokourov, 38 ans, médaillé d'argent à Sydney, vainqueur d'étapes au Tour de France, on l'a même pressenti pour le gagner...  Mais il s'est fait pincer pour transfusion sanguine en 2007. Suspension de deux ans. C'est fini, je ne courrai plus jamais. « C'est une décision définitive », disait-il. Il avait 34 ans.

En 2009, tiens, tiens, Re-Tour de France.

En 2011, avant le début du Tour, il assure que ce sera son dernier. C'est certain, il a 37 ans ! Et puis il chute et se fracture la tête du fémur. Cette fois, c'est évident, le vélo c'est bel et bien fini...

« J'ai encore une plaque de métal, j'ai beaucoup souffert, mais ça prouve que je ne suis pas revenu pour rien », disait-il hier.

--Vous avez été condamné pour dopage en 2007, pouvez-vous assurer le monde que vous ne prenez rien ? a demandé un journaliste.

--Pff, ce n'est pas le bon moment pour poser cette question, c'est derrière moi, j'ai tourné la page.

Vous aurez remarqué que ce n'est jamais le bon moment pour les questions délicates.

Uran, médaillé d'argent, était un homme étonné. Coéquipier de Wiggins chez Sky, il a fini 24e au Tour de France et est considéré comme une force montante. Mais l'argent ? « C'était peut-être un avantage pour moi que les grandes équipes (GB, Allemagne) étaient limitées (quatre, cinq coureurs au lieu de 9-10) et ne pouvaient pas se parler par radio. En plus, les Anglais étaient jugés trop forts, personne n'osait les attaquer. » Alors, pendant ce temps-là, le peloton n'embêtait pas le groupe de tête.

Plus surpris encore, le Norvégien Alexander Kristoff avoue ne pas être numéro un, ni deux de son pays. Pas même sélectionné  l'an dernier aux championnats du monde. Il a eu la bonne idée de rester avec le groupe de tête. Il a saisi sa chance.

C'est ainsi qu'un multi-retraité et deux hommes incrédules sont rentrés à l'hôtel le cou pesant et le coeur content.

Pour rejoindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca