L'air pâle, l'air de rien en fait, celui qu'on appelle le «dépeceur» se tenait debout à côté de ses gardes. Mains liées. Pull beige. Muet à l'écran.

Cette fois-ci, Luka Rocco Magnotta n'était pas le réalisateur de la vidéo. Encore qu'il avait probablement prévu cette scène, où l'attention se porterait enfin sur lui.

Se mettre en scène pour un meurtre, le plus horrible possible, le diffuser sur l'internet, pour le faire voir le plus possible, fuir très loin, mais pour la forme, je veux dire: sans se cacher vraiment. Tout ça prépare un retour en fanfare.

Fanfare macabre, mais fanfare quand même. Pensez donc. L'avion de l'armée, l'escorte policière, tout ce bruit, ces journalistes... Tout ça pour lui tout seul!

Comme c'est toujours le cas, rien n'a vraiment été dit à cette comparution. L'avocat de l'accusé a dit que son client renonçait à ce qu'on lise les accusations - ce qui se fait tout le temps. Qu'il comprenait ce qui se passait. Et qu'il plaidait non coupable.

Il y a une certaine surprise à voir atterrir Pierre Panaccio comme avocat de la défense dans ce dossier. On l'a vu dans le dossier Norbourg, mais c'est un avocat qu'on a surtout vu régulièrement dans des dossiers de motards, au point où il avait la réputation d'être un peu trop près de certains clients. Il a été obligé de se retirer d'un superprocès en 2010, le juge estimant qu'il entretenait des liens d'amitié ou de fréquentation qui le disqualifiaient.

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Demain, la cour décidera si Magnotta doit être envoyé en évaluation psychiatrique. À cette étape, on ne se demande pas s'il était atteint de troubles mentaux au moment du meurtre. On veut savoir s'il est apte à avoir un procès et à comprendre toutes les étapes qui le précèdent.

Tout le monde est présumé apte. Il suffit d'être capable de communiquer les faits à son avocat et de comprendre minimalement le processus judiciaire: savoir où il est (devant une cour), pour quelle raison (pour le meurtre de Lin Jun), avec quelles conséquences. Sauf dans le cas d'un débile profond ou d'un individu délirant, ces conditions minimales sont remplies. Si ce n'est pas le cas, la cause est suspendue tant que cette inaptitude dure.

Au bout de 30 jours au plus, un médecin produira un rapport sur l'aptitude et le juge conclura.

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Cette étape préliminaire n'a pas vraiment de rapport avec la défense de troubles mentaux. Cette défense consiste à plaider qu'au moment du crime, l'accusé n'était pas capable de distinguer le bien du mal. On peut fort bien être apte à avoir un procès aujourd'hui, mais plaider la folie pour le moment du crime. Ou inversement.

L'exemple qui vient en tête est celui de Guy Turcotte. Apte à comprendre la procédure criminelle - ce qui se passait à la cour, les conséquences, etc. -, il a plaidé que lors du crime, deux ans plus tôt, il était atteint de troubles mentaux passagers. Des cas moins controversés se présentent exactement de la même manière: l'accusé pense tuer le diable dans un épisode de délire, mais l'année suivante, il «comprend» le procès qu'on lui fait.

Tout ça pour dire que l'aptitude et la défense de troubles mentaux sont deux choses séparées.

Séparées... mais pas tant que ça. Il tombe sous le sens que la perversité et le degré d'horreur des actes reprochés à Magnotta soulèvent des questions quant à sa santé mentale. D'où cette demande d'aptitude. Et d'où la seule défense visible à l'oeil nu...

Car s'il ne s'avoue pas coupable, on n'imagine pas d'autre défense que celle des troubles mentaux.

À ceux qui croient, depuis l'affaire Turcotte, que cette défense est facile, détrompez-vous. Ce n'est absolument pas le cas. Et le succès des psychopathes en la matière est à peu près nul.

Ce qu'il y a à craindre, c'est moins un verdict étrange qu'une sorte de détournement du procès en spectacle macabre de l'accusé.

Mais on est encore bien loin de tout ça, tant il y a d'étapes à franchir avant ce procès, s'il a lieu.

Pour le moment, les enquêteurs n'en ont même pas fini avec lui. Et on ne sait pas s'il est avec eux aussi muet que lors de sa comparution.

Mais on devine qu'il est tellement content de l'intérêt qu'on lui porte enfin. Après tant de tentatives ratées pour être célèbre, cette fois on parle de lui. C'est le rôle de sa vie.