C'est une grande roue qui tourne. Un coup de manif. Un coup de loi spéciale. Un nouveau coup de manif. Un coup de matraque. Nouvelle manif...

Chacun trouve sa justification dans les excès de l'autre. Il y aura toujours une chaise ou un pavé lancés. Il y aura tout aussi certainement un policier pour en poivrer trop large.

J'ai écrit ça samedi et je n'ai pas changé d'idée: la loi spéciale était malavisée et contre-productive.

Qu'on suspende le trimestre pour passer à autre chose (sauf entente locale), ça se défend parfaitement dans le contexte.

Mais se lancer de manière précipitée dans le contrôle du droit de manifester, c'était la très mauvaise idée d'un groupe de ministres au sentiment d'assiégés. Ce gouvernement ne sait pas comment s'en sortir.

Il avait pourtant une bonne occasion de s'élever un peu, avec le départ de Line Beauchamp. De parler au monde - à tout le monde, pas juste à la majorité silencieuse. Un moment un peu solennel s'offrait tout d'un coup au premier ministre du Québec. Il ne l'a pas saisi.

Résultat: les manifestations autour du conflit étudiant ont maintenant une nouvelle énergie. Une légitimité renouvelée.

On ne manifeste en effet plus tellement contre la hausse des droits de scolarité. On manifeste pour la liberté d'expression. On manifeste pour le droit de manifester.

Le débat s'est déplacé du terrain des mesures fiscales vers celui des droits constitutionnels.

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Une mauvaise loi ne donne pas pour autant de valeur morale ajoutée à une émeute. Les premiers responsables des émeutes sont ceux qui la fomentent et la déclenchent - les casseurs. Les suivants, ceux qui l'encouragent ou l'excusent d'avance - toutes sortes de leaders de groupes ou d'opinion. Ensuite seulement vient la responsabilité de celui qui en a favorisé les conditions - le gouvernement.

Il ne faudrait simplement pas mettre tout le monde sur le même pied, même aveuglé par la détestation de Jean Charest...

Aussi incapable qu'ait pu être ce gouvernement, parler de «désobéissance civile», c'est faire preuve d'un mépris de l'histoire impardonnable pour des gens comme Amir Khadir.

Bernard Landry, ancien premier ministre et pas particulièrement soupçonné de sympathie libérale, a été très dur envers le gouvernement de Jean Charest. Avec raison. Mais, a-t-il ajouté, à l'échelle des enjeux véritables, le dérapage actuel est totalement disproportionné.

«Notre démocratie ne doit pas être victime de violences, de désobéissance, de quelque manière que ce soit. Les enjeux sont importants, mais pas au point de violer les lois», a-t-il dit.

Les mauvaises lois sont contestables devant les tribunaux, pas dans le fracas des vitrines des symboles du capitalisme. Faudrait le dire et le répéter.

Eh oui, même si ça prend du temps. La démocratie constitutionnelle suppose une tolérance pour la durée excessive des discussions, pour leur répétition aussi. Mais au-dessus de tout, il faut des règles du jeu pour changer les lois et les gouvernements.

La désobéissance civile est une résistance pacifique à l'application d'une loi injuste. Elle se justifie dans les cas graves de discrimination, d'injustice profonde, d'oppression d'une minorité. On pense à la ségrégation raciale dans le sud des États-Unis, à l'apartheid, au colonialisme britannique en Inde. Est-on vraiment en train de faire un parallèle entre le Québec et un régime raciste ou despotique?

La désobéissance civile a ses exigences morales, politiques et historiques. S'en faire une définition «maison» est un peu trop commode. Quoi, laissera-t-on des chambres de commerce refuser de payer une nouvelle taxe votée par un gouvernement démocratiquement élu de Québec solidaire au nom de la «désobéissance civile» ? J'espère que non.

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La perpétuation des manifestations ne crée pas non plus de nouvelle obligation pour le gouvernement. Elle dit quelque chose sur une partie de la jeunesse, sans doute. Mais elle ne peut pas substituer son intensité à la règle de droit.

Que signifie donc ce mouvement, qui a une certaine profondeur et une largeur évidente? On est trop collés dessus, j'imagine. Il a l'air de dire: vous ne nous entendez pas. Vous voulez nous vendre deux fois le prix des diplômes qui valent de moins en moins (tous les diplômes ne sont pas égaux économiquement, la topographie des facultés en grève en témoigne). Vous nous parlez économie, on vous répond éducation; vous nous parlez de contribution pour notre enrichissement futur, mais il est invisible à l'oeil nu...

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Quoi, alors?

Il est trop tard pour espérer du premier ministre un discours à la nation un peu crédible et efficace.

Rien n'est possible sans la fin de la casse. Rien ne se réglera non plus par la bête application de cette loi spéciale ratée.

Il faut donc continuer à négocier ce qui paraissait suffisamment «réglable» pour être inscrit dans un texte intitulé «entente», il y a deux semaines. Pour ceux qui veulent régler, bien sûr. Faut-il rappeler que la majorité des associations et des étudiants ont déjà choisi leur camp? Dans ce contexte, il ne peut pas y avoir de recul phénoménal de la position gouvernementale.

La solution n'est ni dans la rue ni dans les postes de police. Mais la roue des manifs de nuit ne peut pas tourner éternellement.