Ceux qui défendent le droit de porter un masque dans les manifs ont des arguments valables.

Petit hic, ils sont souvent avancés par un groupe en particulier aux États-Unis: le Ku Klux Klan (et ses dérivés).

Ah, que voulez-vous, quand on défend le droit fondamental au masque, on ne se retrouve pas seulement avec Julius Grey.

Le groupe raciste, dont les membres portent une cagoule blanche pointue, réclame le droit de parader dans les rues avec cet accoutrement. Mais un peu partout aux États-Unis, des lois interdisent de défiler masqué - sauf pour cause de carnaval, de sport ou d'art, bien sûr.

En 1999, le KKK a demandé un permis de manifester à la Ville de New York, qui l'a refusé en vertu d'une telle loi.

Hé, liberté d'expression! a dit le Klan, qui a contesté la validité de la loi antimasque. Et dans ce formidable laboratoire juridique qui s'appelle les États-Unis, un premier juge leur a donné raison. Il existe un droit de manifester anonymement des opinions politiques impopulaires par peur de représailles, a dit ce juge. Ainsi, on a permis à un groupe de défense des Noirs de ne pas donner la liste de ses membres aux autorités de l'Alabama (les précédents antiracistes servent parfois aux racistes).

Cette loi contre le port du masque, a dit le juge, a aussi pour effet de permettre de se masquer pour divertir la foule... mais pas pour exprimer des opinions politiques. Voilà qui est discriminatoire.

L'affaire s'est rendue jusqu'à l'avant-dernier palier judiciaire américain, qui a conclu au contraire que l'interdiction est valide.

Le droit à l'expression d'idées impopulaires anonymement n'inclut pas celui de se couvrir le visage dans les manifs.

La Constitution ne garantit pas à chacun des conditions «idéales» pour exprimer ses opinions, conclut cette cour d'appel (à laquelle siégeait Sonia Sotomayor).

Il faut tenir compte des impératifs de sécurité publique. Le contrôle des émeutes et l'identification des casseurs sont deux objectifs législatifs parfaitement légitimes.

Le KKK n'a donc pas eu son permis et la loi est toujours en vigueur chez nos voisins.

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Ce raisonnement américain vaut tout à fait ici.

Bien sûr, personne ne veut une loi trop vague et inutilement répressive. L'ancien règlement de la Ville de Québec en est un exemple: «quiconque sera masqué, de jour ou de nuit», devenait passible d'une amende. Le texte datait de 1865, avant même l'invention du Bonhomme Carnaval. Il a été invalidé en 2005, à juste titre.

Le règlement proposé par la Ville de Montréal répond à ce problème. Il interdit aux participants à une assemblée de se couvrir le visage «sans motif raisonnable».

Le théâtre, le baseball et le cirque sont protégés, n'ayez crainte...

Cela permet d'interpeller les gens masqués dès le début d'une manif, pas seulement quand l'émeute est déclarée.

On pourra trouver divers inconvénients à ce règlement, mais ceux qui ont subi le vandalisme des casseurs ont aussi connu leur part d'inconvénients.

On peut imaginer toutes sortes de scénarios d'abus policier, bien entendu. Qu'en est-il de celui qui se promène avec un masque de Jean Charest juste pour rire? La parodie me paraît une excuse raisonnable.

Tout bon règlement peut être mal appliqué. Ça ne le rend pas invalide.

L'histoire des manifs des années récentes nous indique que certains groupes viennent régulièrement infecter des manifestations pacifiques - on ne parle pas de la traditionnelle manifestation contre la brutalité policière, qui cherche par tous les moyens à générer la répression policière.

C'est à la fois une menace à la paix dans le centre-ville et une violation de la liberté d'expression pacifique du plus grand nombre.

Au contraire, le projet de loi fédéral ne semble qu'ajouter une infraction à une personne qui participe à une émeute si elle était déguisée. Voilà qui aura peu d'effet dissuasif et n'aidera pas vraiment le travail préventif de la police.

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C'est déjà un crime de porter un déguisement pour commettre un crime.

Des manifestants pour les droits des animaux ont été condamnés à Montréal l'an dernier pour déguisement illégal après avoir harcelé des employés d'un labo de l'Ouest-de-l'Île.

«Les citoyens canadiens ont le droit de manifester et ils ont le droit de porter un déguisement à cette occasion. Mais, lorsqu'ils portent un déguisement dans l'intention de commettre un crime, aucune défense fondée sur la liberté d'expression ne peut tenir», a écrit la Cour d'appel.

Le problème, c'est que cet article existe pour combattre les vols, pas les émeutes. Il faut donc qu'un crime soit commis ou sur le point d'être commis pour accuser quelqu'un de déguisement illégal. Ça s'applique mal à une émeute, qui se déclenche sans préavis ou même sans indice.

Il y a donc lieu de créer un outil moderne pour contrer ceux qui abusent des libertés publiques pour détourner les manifestations pacifiques.

Ce projet de règlement municipal ressemble beaucoup à ça: un outil utile, moderne et respectueux de la liberté d'expression.