Un dentiste se fait faire une fellation par une patiente dans son cabinet. Il dit que c'était «une relation d'affaires consentante»: il lui a versé 40$ pour ça.

La femme n'a pas la même définition du consentement, puisqu'elle a couru porter plainte à la police et à l'Ordre des dentistes. Des plaintes retenues.

Si bien que, quatre ans plus tard, le dentiste Mirhan Dadourian se retrouve devant la Cour du Québec, accusé d'agression sexuelle.

Ce n'est pas le premier professionnel de la santé à «dévier». Ni le dernier.

Ce qui est proprement incroyable dans ce dossier, ce n'est donc malheureusement pas qu'un dentiste abuse de son pouvoir dans le secret de son cabinet.

C'est la niaiserie de la décision du conseil de discipline de l'Ordre des dentistes.

L'an dernier, en effet, le conseil a accueilli l'aveu de culpabilité du dentiste à des «gestes abusifs à caractère sexuel».

La seule description des faits contenue dans cette décision est le récit du dentiste. Inutile d'entendre la plaignante, en effet, puisque le professionnel s'avoue coupable.

Enfin, il s'avoue coupable à moitié, selon une version qui fait son affaire.

Il prétend avoir été provoqué par sa patiente, une immigrante africaine qui se plaignait de manquer d'argent. Elle se serait mise à parler de circoncision et de taille des pénis, avant de se mettre à le caresser. Il lui aurait dit alors qu'il lui en fallait plus pour l'exciter, et finalement, elle a accepté de lui faire une fellation pour 80$ (il n'avait que 40$ sur lui), mais pas avant de s'être fait obturer deux dents...

Nulle part dans la décision ne peut-on lire la version de la victime.

Pourtant, le conseil estime que le dentiste minimise la gravité de ses gestes. Il n'y avait là aucun consentement, selon elle, et c'est lui qui lui a mis le pénis dans la bouche.

Tout ça dans un contexte d'abus d'autorité aussi évident que grave.

Le conseil ne manque pas d'exprimer sa réprobation. Oh, il est choqué, le conseil! «La protection du public est encore en danger et [...] le risque de récidive est grand parce que [le dentiste] banalise les événements et les réduits à une simple relation d'affaires.»

Ça annonce la sévérité...

Je lis plus loin: le dentiste «a plaidé coupable, mais du bout des lèvres seulement; il est pour le moins inquiétant de constater qu'un professionnel de la santé puisse s'impliquer dans un échange aussi déviant avec une patiente», ajoute-t-on.

Pire encore: «Visiblement, [il] ne comprend pas que son comportement est indigne d'un professionnel de la santé qui détient d'importants privilèges de pratique qui rendent la relation inégale entre lui et la patiente. En cette matière, la dissuasion et l'exemplarité sont des objectifs qui doivent être poursuivis absolument et la sanction doit être sévère.»

Le type va recevoir une sacrée raclée!

Mais non, la balloune se dégonfle au dernier paragraphe. On lui inflige trois mois de radiation et 1000$ d'amende, comme le recommandait le syndic des dentistes.

Le conseil reconnaît que la proposition de sanction «aurait pu être plus sévère». Mais, bof, il l'avalise néanmoins.

Il y a valise, dans avalise. Ce conseil en a la poignée.

Trois mois de suspension pour ce que la police appelle maintenant «agression sexuelle», c'est une blague.

C'est surtout une blague quand on prétend pompeusement infliger une peine «exemplaire» pour protéger le public contre un futur récidiviste.

* * *

Malheureusement, ce genre de sanction n'est pas rare. Une revue de la jurisprudence du conseil de discipline du Collège des médecins montre le même genre de schéma.

Le professionnel s'avoue coupable. Il a négocié avec le syndic de l'ordre. Celui-ci, bien content d'éviter une audition, et peut-être un peu compatissant, suggère une sanction légère. Il n'y a aucune voix contradictoire. Le conseil emploie des termes très durs... mais accepte la suggestion. Parfois en déplorant être soumis à sa propre jurisprudence! Mais s'ils ne la changent jamais, ils y seront soumis pour l'éternité...

Quand personne ne plaide pour de vraies sanctions exemplaires, il est vrai que les conseils sont poussés fortement à descendre la pente de la complaisance.

C'est exactement ce qui s'est passé ici. Un syndic complaisant, une décision mièvre qui dit une chose (la sévérité, l'exemple, le risque de récidive) ... et qui fait le contraire.

Il serait temps qu'ils changent de siècle.