Ce n'est pas énorme, c'est hénaurme. Comment en viendront-ils à bout?

En écoutant la juge Charbonneau hier, on avait une idée de l'étendue du territoire que sa commission d'enquête doit couvrir en deux ans (dont il ne reste que 20 mois).

Les écoles. Les hôpitaux. Les commissions scolaires. Les ministères. Les municipalités. Les sociétés publiques. Les sociétés parapubliques. Les sociétés d'État.

Voilà toutes les entités qui peuvent être visées par la commission Charbonneau.

Songez qu'il y a 1142 municipalités au Québec. Une enquête sur la seule ville de Montréal, ou de Laval, tiens, je donne un exemple au hasard, Laval, ce serait une belle ville pour faire une enquête, ça, Laval, c'est à quelques minutes de Montréal.

Enfin bref, une enquête sur une de ces villes pourrait occuper une commission à temps plein pendant deux ans.

Alors imaginez une commission qui va s'intéresser aux contrats du ministère des Transports pour les 15 dernières années, et aussi, théoriquement, au contrat d'asphalte d'une cour d'école à Montmagny, au contrat de souffleuse de l'hôpital de Labelle ou à l'approvisionnement en papier au cégep de Shawinigan.

Ce n'est pas énorme, je vous dis, c'est Hénaurme. À côté de ça, la commission Gomery était un dimanche à la campagne: le programme était connu, la vérificatrice générale avait écrit un rapport sur le sujet, les acteurs avaient déjà leur photo dans le journal...

Mais là!

Je suis convaincu que les membres de la commission sont pris d'un immense vertige. Non seulement ils ont l'attribution et la gestion des contrats publics partout au Québec depuis 1996 sous leur surveillance, mais ils se demandent en plus s'il y a eu collusion, si et jusqu'où le crime organisé est infiltré dans la construction, et quels sont les liens avec le financement des partis politiques.

En somme, c'est la commission Cliche (construction), plus la CECO (crime organisé), plus Gomery, mais... en plus gros. Et en deux ans.

Je m'inquiète moins, donc, de l'appel à la collaboration lancé hier au public par la juge Charbonneau que du chaos qu'il faudra organiser.

Il n'en reste pas moins qu'un si vaste appel aux citoyens à dénoncer les abus est sans précédent dans les commissions d'enquête. On peut voir ça comme une ouverture bienvenue de la commission au public qui réclamait à grands cris sa création. Mais on ne peut s'empêcher de penser que la Commission se heurte déjà à un certain nombre de murs du silence. Les gens qui peuvent témoigner de la corruption sont généralement des participants. Ils courent rarement pour aller voir les policiers, même confidentiellement.

* * *

Autre défi, lui aussi prévisible dès le départ: la politisation de la Commission. Hier, le porte-parole péquiste Bertrand St-Arnaud a eu des propos mesurés qui montrent qu'il comprend la nature de cette institution. On ne peut pas en dire autant de François Legault, qui a dit souhaiter voir des témoins, et des témoins importants, le plus vite possible.

Ça répond très bien au sentiment de la population, qui se demande ce qui se passe avec cette commission créée au mois d'octobre. Mais les bonnes commissions d'enquête font leur travail souterrain et invisible avant d'appeler des témoins. Sinon, c'est du spectacle.

Fin mai, début juin, les premiers témoins seront entendus. Mais on risque d'être déçus question spectacle, puisqu'il s'agira de témoins techniques, qui viendront expliquer les règles en vigueur au gouvernement pour l'attribution des contrats. Pas d'entrepreneurs véreux, pas de politiciens croches, enfin, rien pour faire la manchette.

Le spectacle ne commencera pas avant septembre. La première année sera presque écoulée. Et vous croyez qu'on aura fait le tour du sujet un an plus tard?

Bonne chance à tous.

D'ici là, la Commission devra travailler non seulement à trouver des faits, mais à se demander ce qu'elle ne cherchera pas. Sinon elle périra noyée dans sa propre matière.

Jamais, en fait, une commission d'enquête n'aura eu une plus difficile mission de définition de son mandat.