Un matin de décembre il y a 19 ans, un officier de haut rang de la GRC est entré dans son bureau au quartier général d'Ottawa. Il avait son uniforme. Il a pris son arme de service et s'est tué.

Ce matin du 21 décembre 1992, Claude Savoie, chef du service de renseignement criminel, allait être interrogé par des confrères.

Après 27 ans de service apparemment impeccable, qui l'avaient mené à ce poste aussi prestigieux que délicat, il savait que c'était fini.

On avait découvert qu'il vendait des informations à un des barons de la drogue au Canada, Allan Ross, réputé «cinquième plus important trafiquant au monde».

Ross a été condamné à l'emprisonnement à vie aux États-Unis pour trafic de plusieurs tonnes de cocaïne et de haschisch. Les Américains ont toujours trouvé bizarre qu'un criminel de cette envergure n'ait jamais été arrêté au Canada. L'explication est venue ce matin tragique: il était informé d'avance des opérations policières.

Des années plus tard, on apprenait que le tueur de l'avocat Sidney Leithman (1991) avait laissé derrière lui un papier avec le numéro de téléphone personnel de Savoie. Quelle était donc l'ampleur de la participation criminelle de ce policier? On ne le saura pas.

Savoie n'a jamais été accusé, jamais même interrogé. Son suicide fut évidemment un énorme scandale, mais de courte durée. Qui se souvient même de cette affaire? Il s'agit pourtant d'un policier de haut rang corrompu par un énorme trafiquant. Un procès aurait eu des conséquences cataclysmiques. Un suicide, pour dramatique qu'il ait été, arrangeait bien les choses, pour ainsi dire.

Certains ne se sont d'ailleurs pas gênés pour le dire crûment à l'époque.

Quelques années auparavant, la GRC avait subi un autre traumatisme quand le chef enquêteur de la section des stupéfiants, Paul Sauvé, s'était fait arrêter pour... trafic de drogue - une affaire majeure.

Sauvé avait été condamné au terme d'un procès retentissant, dont une partie s'était déroulée à huis clos.

Après le suicide de Savoie, Sauvé avait communiqué avec un journaliste de Radio-Canada du pénitencier. Il avait déclaré qu'un de ses supérieurs venus l'interroger lui avait carrément suggéré de se suicider. Et que de toute manière, s'il ne le faisait pas, des gens du milieu criminel allaient probablement lui régler son cas.

Sauvé avait jeté la honte sur la GRC et l'avait fait «reculer de 20 ans», disaient ses supérieurs.

Savoie, lui qui était sur le point d'être interrogé dans une enquête de corruption, avait-il subi le même genre de pression, plus ou moins directement? C'est ce que croyait Sauvé.

On n'en saura jamais rien. Le fait est que la GRC et les collègues que Savoie a trahis n'ont pas eu à subir l'humiliation d'un procès public.

Un policier qui participe à un crime, comme Sauvé, c'est une chose - très grave. Mais un policier qui trahit tout le corps de police en vendant des informations au crime organisé, comme Savoie, c'est sans doute la pire chose qu'on puisse imaginer. La plus impardonnable aussi.

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On pourra explorer la psychologie des profondeurs pour savoir pourquoi un policier à la carrière impeccable décide de tout trahir pour une poignée de dollars -ou même pour un million. Dans un cas comme celui de Ian Davidson, ce qui est avancé est tellement énorme, qu'on a l'impression qu'il avait déjà commencé à se suicider. Aller voir la mafia avec une série de noms, en promettre d'autres et demander un million? Un plan étrange et suicidaire, oui.

Quoi qu'il en soit de ses motivations, on imagine bien qu'une fois arrêté, déclaré suspect par ses confrères, un homme qui s'est construit autour de la lutte contre le crime et de la confiance au plus haut niveau n'a plus beaucoup d'endroits où aller.

Si vraiment il tentait de monnayer l'identité des informateurs, il a mis en danger plein de gens, menacé des enquêtes, trahi les autres policiers. On n'allait pas le lui pardonner - nulle part.

Inutile, donc, d'imaginer une incitation au suicide pour un homme aussi coincé.

Cette mort, comme celle de Claude Savoie il y a 19 ans, évite cependant une accusation publique, une communication de preuve délicate, un étalage gênant et dangereux d'informations.

Elle referme tragiquement le dossier et en un sens, oui, elle règle bien des problèmes.

Voici les policiers renvoyés à leurs affaires internes autour du contrôle de l'information la plus délicate de toutes. Mais au moins, ce sera à régler en famille - une famille où l'on pensait savoir à qui faire confiance. Ce n'est pas du désabusement que le constater: il soulage plein de gens.