Dans la grande salle du vieux palais de justice de Kingston, un portrait de la reine dans ses jeunes années trône au-dessus du juge.

Elle est tournée vers l'accusé et écoute une étonnante discussion théologique sur la vie et la mort.

Dieu et mon droit: ce n'est pas seulement la devise de la monarchie britannique. Ce pourrait être le titre du procès Shafia.

Les croyances religieuses d'un accusé auront rarement été explorées ainsi dans un procès criminel.

On accuse Mohammad Shafia d'avoir tué ses trois filles et sa première femme pour des motifs religieux. De s'être donné le droit de vie et de mort.

Il se défend en disant que sa religion lui interdit formellement de tuer.

Certes, rien n'est plus important que l'honneur, dit Mohammad Shafia. Et ses filles l'avaient déshonoré.

Mais tuer quelqu'un ne permet pas de retrouver l'honneur et rien n'est plus déshonorable que de tuer. Dans quelle religion quelqu'un peut-il retrouver son honneur en tuant? Ce n'est ni dans notre culture ni dans notre religion.»

Vous croyez que Dieu donne la vie et la reprend, note l'avocate de la Couronne, Laurie Lacelle. Est-ce que cela veut dire que Dieu a puni vos filles en les faisant mourir?»

L'homme de 59 ans est aujourd'hui moins catégorique et plus modeste que dans ses discussions privées, enregistrées trois semaines après l'événement.

On ne peut pas dire ça, honorable dame (c'est ainsi qu'il appelle l'avocate quand ça se corse). Dieu seul le sait.»

Et pourtant, Dieu était appelé en renfort pour justifier ces morts, en juillet 2009, quand il parlait à sa femme Tooba et son fils Hamed, accusés avec lui.

Enregistré par la police, le chef de la famille parlait avec l'autorité de la loi du clan.

Il a alors dit que sa conscience était tranquille et que «Dieu les a punies». Qu'elles avaient «trahi la bonté, trahi la famille, trahi l'islam, tout trahi».

Si ma conscience est tranquille, c'est que je ne leur ai jamais fait de mal, c'est ce que je voulais dire», a-t-il expliqué hier.

Croyez-vous que leurs actions ont entraîné une mort méritée?

Oui, répond l'accusé.

Mais la traduction du farsi à l'anglais est parfois chaotique. Et on ne sait pas tout à fait s'il parle des fréquentations des plus vieilles avec des garçons ou du fait qu'elles sont allées se balader en voiture en pleine nuit vers l'écluse sans permis de conduire et sans permission - selon sa version.

Quand on lui a rappelé, jeudi, qu'il a souhaité que «le diable aille chier sur leurs tombes», il a expliqué que c'est une expression commune en Afghanistan. Il a ensuite dit que le diable irait vérifier dans leur tombe si elles avaient fait le mal, et sinon, ce serait à Dieu de s'en charger.

Lui qu'on entend maudire ses filles trois semaines après leur mort a parlé un langage bien différent hier.

Dans notre Livre, notre Dieu ne nous permet pas de prendre la vie. Tooba est une mère, jamais elle n'aurait fait ça. Comment un père pourrait faire ça à ses filles?»

Peut-être parce que vous les considériez comme des prostituées, a suggéré du tac au tac l'avocate.

C'est ainsi qu'il les appelle, en effet, dans un des enregistrements. Comment ont-elles pu devenir de telles putes?

Mais hier, même si la colère était tout juste sous la surface, il a tenté de manifester un minimum de compassion - un minimum.

Elles étaient innocentes et rien ne permet de faire une chose aussi haineuse et horrible.»

Au jury, Shafia continue à dire qu'il s'agit d'un accident.

Mais quiconque est allé visiter l'écluse peut voir à quel point cet accident était improbable. Pour tomber dans l'eau à l'endroit où on a trouvé les victimes, il faut contourner toute une série d'obstacles. Une voiture dont le moteur n'était pas en marche, des passagères qui n'ont pas tenté de fuir par une fenêtre ouverte...

Les choses improbables arrivent parfois.

Mais si ce n'est pas un accident, qui donc, à 2h dans la nuit, les aurait poussées là ce 30 juin 2009?

Sans doute pas Dieu.

Pour joindre notre chroniqueur: yboisvert@lapresse.ca