À voir le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu chuter toujours plus bas, on se demande s'il sera encore possible de parler intelligemment de justice criminelle dans ce pays.

Toute mesure réputée «sévère» est automatiquement «bonne pour les victimes». Toute critique est automatiquement faite «pour les criminels».

On était habitué aux attaques politiques du sénateur contre le Bloc québécois, accusé naguère de défendre «les criminels» pour avoir critiqué des projets de loi conservateurs.

L'an dernier, quand Statistique Canada a publié son étude annuelle sur la criminalité au pays, les chiffres n'étaient pas agréables au sénateur. Encore une fois, la criminalité avait diminué.

Le sénateur a aussitôt dénoncé les criminologues et autres partisans de la réhabilitation.

Ces gens-là «justifient leur job» et «quelqu'un manipule les chiffres», a-t-il dit.

Il est très bon pour attaquer les études et leurs auteurs, mais beaucoup moins pour en présenter qui appuient ses positions.

Maintenant, il s'en prend au Barreau, qui a aussi critiqué le projet de loi C-10: 80% de ses membres sont des avocats de la défense, normal qu'ils défendent les intérêts de leurs clients!

Or, même s'ils sont les plus visibles et les plus bruyants (les plus impopulaires aussi), les avocats de la défense sont un tout petit groupe dans le Barreau - à peine 5% selon le bâtonnier. Ils sont là pour défendre tout le monde, au fait, y compris l'honnête citoyen qui a fait un faux pas (ou pas), non seulement «les criminels».

Quant au ministre québécois de la Justice, Jean-Marc Fournier, il s'est évidemment fait dire qu'il défendait «les jeunes criminels», tandis que lui, comme vous savez, défend «les victimes».

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La niaiserie de ce discours ne serait pas si grave s'il émanait d'un groupe de pression. Mais le sénateur Boisvenu n'est plus à la tête d'un groupe de pression. Il vote des lois.

Réduire tout débat sur la sécurité à une opposition «criminels contre victimes» rend la discussion impossible. Qui veut défendre «les criminels» ? Qui n'est pas avec les victimes?

Infliger une peine automatique minimale de six mois de prison à quiconque est arrêté en possession de 201 plants de pot ou plus (ou plus de 5, si c'est pour trafic) n'aide aucune victime. Cela ne fait que réduire la marge de décision du juge, qui peut avoir toutes sortes de raisons particulières pour trouver une autre solution. Cela augmente la population carcérale et les coûts de la sécurité.

Certes, on est loin de la situation américaine. Même avec ces amendements, la justice criminelle canadienne demeurera bien modérée par rapport à la justice américaine.

Le système carcéral américain est en faillite et c'est à coup de milliers qu'on ordonne des libérations en Californie, vu les conditions de détention inconstitutionnelles des pénitenciers surpeuplés.

Mais on observe dans ce projet de loi les mêmes tendances: de plus en plus de peines minimales justifiées par une méfiance envers les décisions judiciaires.

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Pourtant, rien dans les faits ne peut justifier un changement de ce type. La criminalité baisse depuis 40 ans, y compris la criminalité violente. Il y avait deux fois plus d'homicides à Montréal il y a 40 ans qu'aujourd'hui.

Et depuis le temps qu'on étudie la criminalité et les moyens de la combattre, on commence à avoir une idée de ce qui fonctionne - ou pas.

L'augmentation de la durée des peines n'a pas d'effet dissuasif. Envoyer quelqu'un en prison alors qu'on peut le libérer sous surveillance peut au contraire le criminaliser davantage, et faire plus de victimes.

Publier le nom de jeunes délinquants violents (à la discrétion du juge) ne servira aucun objectif de sécurité publique, d'autant plus qu'on a élargi la notion. Un geste qui «peut» avoir des conséquences dangereuses, même non voulues, est ainsi un «crime violent».

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Il est vrai que le Québec, historiquement, est moins sévère que d'autres provinces en matière criminelle.

Mais il se trouve aussi que pour tous les crimes violents (homicides, tentatives de meurtre, vols qualifiés), le Québec se trouve sous la moyenne nationale, derrière l'Ontario - aussi sous la moyenne - et très loin derrière les provinces de l'Ouest.

Pour ce qui est des jeunes délinquants, on observe la même chose. En 2009, 8 adolescents ont commis un homicide au Québec, 16 en Ontario, 24 au Manitoba, et 8 ou 9 dans chacune des trois autres provinces de l'Ouest, pour des populations bien moindres.

Ce n'est pas exceptionnel. Année après année, les provinces de l'Ouest connaissent une criminalité violente beaucoup plus élevée.

Cela, évidemment, influence le discours politique d'un parti qui a ses racines dans l'Ouest.

Mais quand presque tout ce que le Québec compte de gens de justice dénonce un projet de loi, ce n'est pas parce qu'on y aime particulièrement le crime.

C'est parce que l'approche équilibrée a donné des résultats pas trop mauvais jusqu'ici. Il y a des preuves.

Des faits. Des chiffres. J'ai hâte que le sénateur Boisvenu fasse une démonstration de la nécessité de «durcir» le droit criminel.

Autrement que par la récupération de tristes événements ou de rares cas judiciaires vraiment aberrants - que la Cour d'appel corrige généralement.

Mais à voir comment Jean-Marc Fournier a été reçu hier à Ottawa par le ministre Rob Nicholson, on devine que ça n'arrivera pas.