Son acquittement a été une sorte de traumatisme social.

Il ne faut peut-être pas se surprendre d'entendre répéter toutes sortes d'hypothèses farfelues sur le sort de Guy Turcotte.

Mais quoi qu'on en dise, l'ancien médecin ne sera pas libéré de sitôt.

Et quand il le sera, il y a bien peu de chances qu'il retrouve un jour son droit d'exercer la médecine au Québec.

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Une étude canadienne publiée en 2006 indique qu'en moyenne, il faut près de quatre ans à l'auteur d'un homicide déclaré «non responsable pour cause de troubles mentaux» (NRCTM) avant de quitter l'hôpital psychiatrique.

C'est ensuite une liberté surveillée et accompagnée de traitements qui attend le «patient».

L'étude a recensé tous les cas de NRCTM au Canada entre 1992 et 2004, quel que soit le crime (excluant trois petites provinces). On en a dénombré 6802, dont 487 homicides.

Comme on peut s'y attendre, plus le crime est grave, plus la commission d'examen hésite avant de permettre une libération. Les chances d'une libération rapide sont donc extrêmement faibles.

Guy Turcotte rêve de refaire sa vie et de reprendre le travail. Mais même en supposant qu'il soit libéré immédiatement, il fera face à des obstacles à peu près infranchissables.

N'allons pas croire que le Collège des médecins souhaite le retrouver parmi ses membres.

Comme il a démissionné du Collège, il devra faire une demande de réinscription.

Première étape: trois psychiatres l'évalueront. Ce genre d'exercice donne rarement lieu à des conclusions parfaitement blanches ou noires.

Ses avocats ont réussi à convaincre le jury de sa folie grâce à des témoignages d'experts. Difficile de se présenter soudainement sain d'esprit...

Bien sûr, le jury s'est prononcé sur son état mental au moment du crime. Mais on nous a parlé de problèmes profonds, de troubles de la personnalité très sérieux, doublés d'une dépression, etc. Et après, il nous arriverait avec une guérison instantanée?

Douteux!

Advenant le cas improbable où les trois psychiatres du Collège des médecins le déclarent sain d'esprit, la partie n'est pas finie. Il restera au syndic la possibilité de l'accuser pour ses crimes de manquements à «la dignité et à l'honneur de la profession». C'est une catégorie fourre-tout où entre évidemment un double assassinat.

Il pourra toujours plaider sa folie du moment, mais les règles devant le Collège des médecins ne sont pas celles de la cour criminelle et le désavantageront cette fois.

Bref, cette hypothèse relève pour l'instant du fantasme.

Défense de folie

L'affaire Turcotte restera comme un traumatisme, disais-je. Songeons qu'une manifestation a eu lieu pour dénoncer ce verdict. Que certains en ont appelé à l'abolition du procès par jury (une pure utopie, car il faudrait modifier la Constitution). D'autres à la limitation de ce qu'on appelait naguère la défense de folie.

Il est vrai que, dans la vaste majorité des cas où cette défense est présentée avec succès, l'accusé a un diagnostic de schizophrénie, d'idées délirantes, de débilité et d'autres affections graves. Seulement 4% ont des troubles de la personnalité, un diagnostic qui généralement ne permet pas de se soustraire à la responsabilité criminelle.

La colère et l'incompréhension

Depuis un siècle et demi que la défense de folie existe, ce n'est pas le premier acquittement à secouer tout un peuple.

Daniel M'Naughten, Écossais persuadé qu'il était espionné par l'Église catholique et la police, avait résolu d'assassiner le premier ministre de Grande-Bretagne, Robert Peel. Par erreur, c'est son secrétaire Richard Drummond qui fut tué en 1843.

Il fut acquitté pour cause de folie «partielle», car en dehors de son délire de persécution, il paraissait parfaitement normal et intelligent.

On ne condamne pas quelqu'un qui ne sait pas ce qu'il fait. L'acquittement, qui est le fondement moderne de cette défense en droit anglo-saxon, causa un scandale immense à l'époque. Il déclencha exactement le même genre de débat: les gens vont-ils maintenant échapper à leurs responsabilités en se prétendant fous?

L'homme qui a tenté d'assassiner le président Ronald Reagan, John Hinckley, même s'il avait été filmé, a été acquitté pour les mêmes raisons.

Des États américains ont ensuite tenté de restreindre le critère, et surtout la libération après un acquittement. Au point où un psychiatre de Yale a dit qu'il faudrait «vraiment être fou pour utiliser cette défense».

Mais le fait est que cette défense échoue généralement dans les cas contestés. Le «fils de Sam», qui a assassiné six personnes à New York, a été déclaré coupable, même s'il disait recevoir des ordres du chien de son voisin. Il a été condamné. Même chose pour un tueur en série qui démembrait ses victimes avant de les manger.

Bref, cette défense, malgré toutes les critiques qu'elle s'attire périodiquement, n'est pas facile du tout.

Pourquoi? Parce qu'après toutes les définitions juridiques et psychiatriques, ce sont toujours 12 citoyens ordinaires, tout aussi soucieux de la sécurité publique que le commun des mortels, qui se prononcent là-dessus. À partir de ce qu'ils ont entendu en cour.