Quel est le bilan canadien de la lutte contre le terrorisme depuis 10 ans?

Difficile de juger de l'ampleur de la menace, même si, officiellement, 106 enquêtes antiterroristes ont été ouvertes depuis 10 ans. Les cibles vont peut-être d'un groupe de défense des animaux à une cellule islamiste.

Le fait est qu'il n'y a pas eu d'attentat terroriste sur le territoire.

On a pu penser que c'est uniquement le fruit de l'insignifiance du Canada. Mais l'arrestation des 17 de Toronto, en 2006, nous a ouvert les yeux. Ceux-là planifiaient de faire sauter la tour du CN et le parlement, et s'équipaient «pour de vrai», comme les procès l'ont bien démontré - sept se sont avoués coupables, quatre ont été déclarés coupables par des jurys.

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Les nouveaux pouvoirs donnés aux forces policières seulement un mois après le 11 septembre, donc au plus fort de l'émotion, n'ont pas donné lieu aux abus qu'on avait redoutés.

On pense au pouvoir d'interrogatoire judiciaire des personnes suspectées d'actes terroristes, à l'arrestation sans mandat avec obligation de faire comparaître dans les 24 heures et à la détention préventive prolongée.

Ces dispositions étaient soumises à une disposition crépusculaire et se sont éteintes cinq ans plus tard, car les partis de l'opposition ont refusé de voter pour leur reconduction.

N'empêche: une seule personne a été soumise à un tel examen, un témoin récalcitrant dans l'affaire d'Air India, survenue 20 ans plus tôt.

Pour les adversaires de ces dispositions, c'était la preuve qu'elles étaient inutiles. Pour ses défenseurs, c'était la preuve que la police ne les utiliserait qu'en cas extrême.

On craignait également que la définition des nouveaux crimes de terrorisme (l'aide au financement, l'hébergement, etc.), qui est toujours en vigueur, ratisse beaucoup trop large et fasse accuser de vagues suspects.

On n'a rien vu de semblable.

Les attaques constitutionnelles contre la loi ont toutes été rejetées, sauf pour des détails.

Et les tribunaux d'appel se sont montrés particulièrement sévères. La Cour d'appel de l'Ontario a fait passer de 15 ans à la perpétuité la peine de Mohammad Momin Khawaja, premier Canadien condamné en vertu de cette loi pour un attentat avorté en Grande-Bretagne.

Le terrorisme doit être puni «de la manière la plus sévère possible», a écrit en 2010 cette cour, la plus influente après la Cour suprême. Le message fera époque.

On se souvient de cette phrase classique des juges Louise Arbour et Frank Iacobucci, de la Cour suprême: «S'il est vrai que la réaction au terrorisme doit respecter la primauté du droit, il reste que la Constitution n'est pas un pacte de suicide.»

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Pas d'abus policiers commis en vertu de cette loi antiterroriste, donc, mais sévérité singulière des tribunaux dans les rares cas qui leur ont été soumis.

Ce qui ne veut pas dire que tout s'est bien passé.

L'affaire Maher Arar demeure une tache sur la conscience de la GRC. Cet ingénieur canadien d'origine syrienne avait été envoyé en Syrie après une escale aux États-Unis, et la GRC avait fourni aux Américains des renseignements peu fiables (qui allaient plus tard se révéler faux). L'homme a été emprisonné pendant un an et torturé, sans jamais être accusé.

D'autres cas moins graves mais comparables se sont produits dans les mois qui ont suivi le 11 septembre.

Il n'en reste pas moins qu'une commission d'enquête a été mise sur pied, que le gouvernement a présenté des excuses officielles à Maher Arar et qu'une compensation de 10,5 millions lui a été versée.

Quant aux fameux «certificats de sécurité», ils ont fait beaucoup de bruit, mais étaient-ils abusifs?

Rappelons qu'il s'agit d'ordres d'expulsion du territoire canadien d'étrangers représentant une menace pour la sécurité nationale. Ceux qui refusent l'expulsion sont emprisonnés en attendant que leur cause soit entendue.

C'est une procédure embarrassante et par bien des traits détestable, car elle est en partie secrète. Le suspect n'a pas accès à la preuve détaillée. On a cependant raffiné le modèle sur ordre de la Cour suprême, et un avocat indépendant l'examine.

Quoi qu'il en soit, et malgré ses hauts cris, je ne suis pas du tout convaincu qu'un Adil Charkaoui soit une pauvre victime dans cette affaire. Sa présence nébuleuse au Pakistan, ses relations louches et certaines conversations soulèvent de sérieux doutes sur ses projets passés. Personnellement, je ne lui accorde aucune crédibilité.

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Faut-il, comme le propose Stephen Harper, adopter à nouveau les quelques mesures exceptionnelles qui sont «mortes» après cinq ans?

Elles étaient assez bien balisées et soumises à un contrôle judiciaire. Des gens comme Irwin Cotler, défenseur des droits de la personne, en ont défendu la valeur. Je ne serais pas scandalisé de les voir adoptées à nouveau.

Mais en avons absolument besoin? Pas vraiment. Il faut faire la part du marketing politique, là-dedans.

N'allons pas croire que la partie se jouera là. La lutte contre le terrorisme, qui nous occupera pour les décennies à venir, se fera d'abord et avant tout avec les outils classiques du travail policier: information, infiltration, enquête, analyse.

Ensuite, par la réaffirmation de l'état de droit contre le fanatisme. Chaque dérive policière aide la cause terroriste.

Devant le nihilisme terroriste, qui ne respecte ni les règles, ni la vie humaine, il arrive qu'une démocratie doive se battre avec une main dans le dos, disait l'ancien juge israélien Aharon Barak.

Mais cette apparente faiblesse est une force.

C'est ce qui montre sa supériorité morale devant le terrorisme.