À New York comme à Paris, des cris ont retenti: la libération de Dominique Strauss-Khan est un affront aux femmes!

D'autres y ont vu la fin d'une terrible injustice, pour ne pas dire d'une machination contre DSK.

Ce n'est ni l'un ni l'autre.

La lecture de la requête présentée par les procureurs new-yorkais révèle deux choses de manière assez convaincante.

Premièrement, les procureurs avaient tous les motifs valables pour faire accuser DSK.

Deuxièmement, ces mêmes procureurs ont eu raison de mettre un terme à la poursuite.

Contradictoire? Pas vraiment. La preuve, crédible à première vue, s'est effondrée. Ça arrive.

Les procureurs de la poursuite, ici comme aux États-Unis, sont tenus à une norme d'objectivité. Leur tâche n'est pas de tenter leur chance ou de tenir un procès coûte que coûte pour «gagner». C'est de présenter à la Cour une thèse qu'ils estiment prouvée ou prouvable hors de tout doute raisonnable. Et donc d'abandonner une cause trop faible.

En ce sens, malgré sa fin retentissante en forme de débandade, j'oserais dire que cette affaire est exemplaire.

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Une femme de chambre se plaint à ses supérieurs d'avoir été agressée par DSK. On trouve du sperme sur sa robe et sur le tapis. La femme travaille là depuis trois ans, sans histoire. DSK, citoyen français, est déjà à l'aéroport, en partance pour Paris. Il existe un traité d'extradition entre la France et les États-Unis, mais la justice française peut refuser de renvoyer ses citoyens et décider de les juger sur son territoire.

La police de New York décide donc d'arrêter le suspect juste avant le décollage. C'était parfaitement justifié.

Les enquêteurs spécialisés et les procureurs rencontrent plusieurs fois la plaignante. Les expertises scientifiques confirment qu'une relation sexuelle a eu lieu. La carte électronique indique qu'elle est entrée dans la chambre à 12h06. À 12h13, DSK était au téléphone avec sa fille. La précipitation accrédite la thèse de la relation non consensuelle qu'a décrite la femme de chambre - elle dit qu'il l'a forcée à lui faire une fellation.

Tout cela, ainsi que le témoignage des collègues qui ont recueilli sa version après les faits, a été présenté à un grand jury la semaine même. Dès le 18 mai, DSK a été accusé de sept chefs pour cet incident.

Les enquêteurs et les procureurs ont continué à rencontrer la plaignante. De leur côté, les avocats de DSK ont fouillé son passé et ont alerté la poursuite d'au moins un fait troublant: elle n'a jamais été victime d'un viol collectif en Guinée, son pays d'origine. Pourtant, c'est en pleurant et avec grande conviction qu'elle avait raconté aux enquêteurs comment des soldats l'avaient violée devant sa fille de 2 ans. Ce récit lui avait permis d'obtenir l'asile aux États-Unis... Mais il est totalement faux, de son propre aveu maintenant.

Sa version des événements survenus tout de suite après l'agression a changé deux fois et est contredite par les cartes électroniques. Elle a également menti au grand jury.

Qu'une personne ait menti par le passé ou ait commis un crime ne veut pas dire qu'elle ment toujours, ou qu'on ne peut pas la faire témoigner. Mais des mensonges aussi gros sur des sujets aussi délicats minent sa crédibilité de manière irrémédiable. Sans compter ses fausses déclarations pour obtenir un logement dans un HLM. Et ses liens avec un prisonnier, son «fiancé», accusé de trafic, et qui dépose des dizaines de milliers de dollars dans son compte à partir de quatre États différents.

Elle avait dit ne vouloir aucune compensation financière, mais elle a dit le contraire dans une conversation enregistrée. Ce n'est pas illégal, mais c'est encore contradictoire.

Bref, s'il y a eu hors de tout doute relation sexuelle «précipitée» dans un contexte trouble, ce genre de témoin ne peut pas dignement être amené devant un jury pour prouver la contrainte et l'absence de consentement.

Il n'y avait qu'une chose honnête et juridiquement correcte à faire: retirer les accusations et s'en expliquer très ouvertement, ce qu'ont fait les procureurs dans un document public limpide de 25 pages.

Le fait de poursuivre une affaire vouée à l'échec ne ferait nullement avancer la cause des femmes. Bien au contraire.

L'abandonner n'est pas pour autant un aveu de machination ou d'incompétence ou un certificat d'innocence pour DSK. C'est un gâchis déplorable, mais il s'explique.

Il arrive dans la justice humaine que des témoins se trompent, ou trompent les policiers, ou se révèlent trop faibles après coup.

Il arrive qu'un suspect soit sur le point de quitter le pays et qu'on doive l'arrêter vite. Il arrive qu'il soit riche et puissant et candidat à la présidence de la République.

Il arrive rarement tout cela en même temps. Mais, cette fois, c'est arrivé.