La semaine dernière, Éric Daudelin, 37 ans, a été formellement accusé du meurtre de la petite Joleil Campeau, 9 ans, dont le corps a été retrouvé il y a 16 ans dans un marais près de chez elle. Même si ce récidiviste avait déjà été condamné à deux reprises pour agressions sexuelles, il n'a jamais été reconnu comme délinquant dangereux. A-t-il bénéficié de la mentalité judiciaire québécoise de l'époque portée sur la réhabilitation?

Si Éric Daudelin avait été ontarien, il serait peut-être dans un pénitencier depuis déjà 15 ans et pour le reste de sa vie.

Mais voilà, il est arrivé dans le système judiciaire québécois à une époque où l'on n'utilisait pas encore l'arme la plus puissante contre les prédateurs sexuels: la déclaration de délinquant dangereux.

Il est toujours facile de refaire l'histoire judiciaire à l'envers pour trouver le jugement mal fait, l'erreur policière, la libération conditionnelle injustifiée.

Mais, dans ce cas très précis, on peut affirmer que Daudelin a bénéficié de la mentalité judiciaire québécoise de l'époque.

Quelle mentalité? Une croyance plus grande et moins nuancée envers la réhabilitation que n'importe où au Canada.

C'est ainsi que le Québec a connu des succès incomparables avec les jeunes délinquants.

C'est également ainsi, hélas, qu'on a donné trop de dernières chances à des psychopathes.

Est-ce que Joleil Campeau serait vivante sans cela? On ne peut pas dire ça. Ce qu'on peut dire, c'est qu'Éric Daudelin avait déjà le profil d'un délinquant dangereux lors de sa deuxième condamnation comme adulte, pour une agression survenue un mois après le meurtre de Joleil. Il s'en est tiré avec une peine de cinq ans de pénitencier.

À l'époque, le Québec découvrait à peine la notion de délinquant dangereux.

Cette peine extraordinaire est réservée aux auteurs de crimes graves (sauf le meurtre) dont on est certain qu'ils récidiveront. Elle a été implantée dans le Code criminel en 1977 (après diverses variantes).

Il faut le témoignage de deux psychiatres qui démontrent les très hauts risques que le délinquant commette un crime grave contre une personne, peut-être un meurtre.

Le Québec a boudé cette mesure pendant 19 ans. Pourquoi? Mystère. Ce n'était pas dans l'air du temps.

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En 1996, l'assassin et violeur en série Agostino Ferreira est devenu le premier «délinquant dangereux» québécois. La procureure de la poursuite, à l'époque, avait cherché un précédent québécois. En vain.

Il y en avait déjà 230 dans le reste du Canada.

Ferreira était déjà condamné à l'emprisonnement à perpétuité pour les deux meurtres et avec son dossier, personne ne croyait qu'il obtiendrait une libération conditionnelle 25 ans plus tard.

Mais cette condamnation supplémentaire, si elle n'allait pas changer grand-chose en pratique, allait avoir une portée symbolique importante.

Dans une affaire hautement médiatisée, on obtenait cette condamnation exceptionnelle. On ouvrait la voie.

Soudain, les avocats de la poursuite ont commencé à recourir à cette disposition. Si bien que, quatre ans plus tard, il y en avait déjà 16. Il y en a plus de 30 maintenant.

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Dans le cas précis de Daudelin qui, pour l'instant, est seulement accusé du meurtre de Joleil Campeau, on ne peut rien reprocher aux gens des libérations conditionnelles.

Les deux peines de pénitencier qu'il a subies (1993 et 1996) ont été purgées en totalité, ce qui est rarissime.

Les policiers l'ont également eu à l'oeil à sa deuxième libération et il a été emprisonné pour 15 et 18 mois pour de simples manquements à son couvre-feu.

Qu'en est-il des deux sentences? La première, celle de 1993, est indûment clémente: deux ans de pénitencier pour deux agressions sexuelles auprès de deux adolescentes. Surtout qu'il avait des antécédents de crimes sexuels comme mineur.

D'un autre côté, il avait 19 ans et c'était sa première peine comme adulte. Il semblait donner des signes d'une volonté de réhabilitation. La Cour d'appel n'a pas jugé bon de réviser la peine à la hausse.

J'ai peine à imaginer un jugement semblable aujourd'hui.

Au pénitencier, Daudelin lui-même a reconnu avoir des fantasmes meurtriers. Les libérations conditionnelles l'ont maintenu derrière les barreaux aussi longtemps que la loi le permettait.

Un mois après sa sortie, Joleil Campeau était assassinée.

Un mois plus tard, il agressait et séquestrait une autre adolescente, de 15 ans celle-là.

C'est ici qu'on est étonné de voir une peine de cinq ans. Certes une peine sévère. Mais avec ses antécédents et, surtout, ce qu'ont dit les experts des libérations conditionnelles en 1994, il y avait amplement matière à demander que cet homme soit déclaré délinquant dangereux.

Ce n'était pas encore vraiment dans les moeurs judiciaires québécoises. Joleil Campeau était déjà morte. Et il n'est pas certain qu'il aurait été déclaré délinquant dangereux. Mais on peut penser qu'en Ontario, cela aurait au moins été soulevé.

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Les choses ont changé depuis et on ne peut pas dire que le Québec prend ce type de crimes à la légère, ou plus légèrement que le reste du Canada.

Partout au pays, par ailleurs, la conscience de la gravité de ces crimes pour les victimes et les connaissances sur les agresseurs et les prédateurs sexuels ont évolué depuis 30 ans.

On admet plus volontiers que des individus ne sont carrément pas réhabilitables. On développe de nouveaux mécanismes de surveillance et de répression.

C'est ainsi qu'on a ajouté, en 1997 dans le Code criminel, la notion de délinquant «à contrôler». Ceux-là ne sont pas assez menaçants pour être des délinquants dangereux, mais à trop haut risque pour être libérés au bout de leur peine. On leur imposera donc des conditions, parfois pour les 10 années qui suivent la fin de leur peine d'emprisonnement.

Cela n'empêche pas de croire aux vertus de la réhabilitation. C'est simplement que les criminels d'une certaine catégorie ne sont pas des candidats valables.

On n'arrivera évidemment jamais au risque zéro.

Mais on peut faire en sorte que des gens dont on sait qu'ils sont dangereux, preuves à l'appui, ne soient pas en liberté.

Celui-là ne devrait plus l'être depuis longtemps, même s'il n'avait pas été accusé de ce meurtre crapuleux.