Que devront-ils faire pour attirer l'attention au prochain siècle? Jongler avec des éléphants?

La semaine dernière, un Australien qui court deux marathons par jour est passé par Montréal, en route vers le pôle Sud, et presque personne ne l'a remarqué.

Pat Farmer a été reçu à l'hôtel de ville, où on lui a fait signer le livre d'or, comme il se doit. J'ai eu le temps de lui poser quelques questions avant qu'il ne se dirige vers la frontière américaine, où il a continué sa course délirante.

Hier, il est arrivé aux abords de New York.

Tout a commencé au mois d'avril, quand un hélicoptère russe l'a largué au pôle Nord.

Le vrai pôle Nord?

Le vrai. On ne court pas vraiment, dans la neige, il n'y a pas de route, il fait -45 °C, des vents de 100 km/h... On marche vite...

Mais depuis qu'il a retrouvé des routes, il se tape environ 80 km par jour - en une dizaine d'heures -, presque deux marathons quotidiennement.

Le but de l'opération, baptisée Pole to Pole Run, est d'amasser 100 millions pour la Croix-Rouge des pays qu'il traverse.

Ce serait la plus longue distance jamais courue - 21 000 km. Il ne prend aucune journée de repos.

M. Farmer a été recruté en 2000 par l'ancien premier ministre libéral John Howard qui l'a convaincu de se présenter aux élections. Il a été pendant huit ans député fédéral australien. Il a été défait l'an dernier lors d'une convention dans sa circonscription.

Dans son discours d'adieu au Parlement, il a annoncé son projet. Une équipe de télé suit le coureur de 49 ans avec un motorisé et tous ses commanditaires ont amassé les 3 millions nécessaires à l'opération - qu'on peut suivre sur le site poletopolerun.com.

«Je le fais pour la Croix-Rouge, que tout le monde tient plus ou moins pour acquise. Son travail est indispensable.

«Mais je le fais aussi pour inspirer les gens, je me dis que ça peut donner le goût de faire de l'activité. Je crois en l'humanité et en la capacité de l'esprit humain à accomplir tout ce qu'il veut entreprendre», dit-il.

«Regardez-moi, je ne suis qu'un gars ordinaire, si je le fais, n'importe qui peut le faire!»

Ordinaire? Attendez une minute, M. Farmer...

L'homme est un athlète au long cours, connu depuis longtemps dans le milieu très particulier des ultramarathons - ces courses de 100 km, ou 100 milles, ou 24 heures, ou qui traversent un désert, etc.

C'est un champion australien du domaine.

Pour vous donner une idée, il a déjà couru 2500 km en 42 jours. Il a terminé deuxième dans la course Trans America (départ à L.A., arrivée à New York) en 1993.

Il détient de ces records bizarres du genre: première personne à avoir couru verticalement pendant 24 heures (en montant et descendant les marches d'une tour de bureaux de Sidney); record du monde du... 10 000 km: 129 jours; tour d'Australie à la course le plus rapide: 14 662 km en 191 jours et 10 heures, etc.

Mais, M. Farmer... juste un marathon, ça ne vous intéresserait pas, histoire de relaxer?

Je n'ai jamais couru un marathon. Je ne fais que des longues distances.

C'est vrai qu'au vu de son palmarès, un marathon, ça fait chenu...

Il m'explique que lors d'un ultramarathon au Japon, il était parti avec un groupe de Kényans. À la marque des 42,195 km, il était à 2h20 - la norme actuelle de qualification olympique est de 2h11.

«Rendu au kilomètre 50, j'étais seul... Mais j'en avais 50 autres à faire.»

Depuis l'adolescence qu'il court, et toujours des distances extravagantes. «J'ai réalisé que j'avais un certain don pour ça... Alors j'ai couru pour toutes sortes de causes. Les maladies du coeur, le cancer, le diabète... J'ai amassé des millions.

Il a deux enfants, de 13 et 15 ans, qu'il a élevés seul, sa femme étant morte quand sa plus jeune avait un an.

«Mon fils m'attendait à l'île d'Ellesmere... C'était une surprise.» Cette aventure, qui se termine en décembre, est un exploit, une collecte de fonds, mais aussi un show de télé.

J'ai l'impression, M. Farmer, que cette ultraperformance est à ce point démesurée qu'elle risque davantage d'intimider l'homme sédentaire plutôt que de le propulser hors de son Lay-Z-Boy.

«Peut-être, mais moi, je trouve que s'ils me regardent, ils verront un homme ni grand ni fort qui fait des choses hors du commun et ça, je crois que c'est encourageant... Je crois profondément en l'humanité et en la capacité de l'esprit humain à accomplir tout ce qu'il veut entreprendre.»

Parlons chaussures. Que pense-t-il de la théorie voulant que l'être humain soit né pour courir, et qu'il se blesse davantage à cause des chaussures trop rembourrées qu'on nous vend?

«Je pense que c'est vrai, mais que si vous n'avez pas commencé jeune à courir nu-pieds, ou avec une petite semelle, vous ne pouvez pas vous déshabituer.»

Il court avec des Brooks tout ce qu'il y a de classiques et structurés. Il les change aux 1000 km.

Il mange des mélanges protéinés plus que des glucides. «Des fois une bière, je suis australien après tout, et ça m'aide à relaxer.»

Il a des ecchymoses, des ampoules, des douleurs ici et là. Il avoue aussi qu'il a souvent des traces de sang dans l'urine: «Les reins subissent des chocs après tous ces kilomètres, mais ce n'est pas grave.»

Me semble que j'irais voir le docteur...

Il y a longtemps que je ne suis plus les conseils de mon médecin!

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca