C'est un gars que j'ai connu il y a 20 ans, du temps qu'il roulait carrosse. Il y a eu un divorce. Une interminable guerre en cour pour la garde de l'enfant. Des accusations. Un mois en prison. Plus de job. Plus rien.        

Il est dans la rue. Des fois, on le trouve la nuit dans les recoins d'un édifice en réparation, ou dans un refuge, ou chez un ami.

Hier, il est allé marcher rue Saint-Denis, là où est mort «Mario», abattu par un policier sur lequel il fonçait avec son couteau.

Il voulait me dire: il n'y a pas une innocente victime et un suspect abattu, dans cette histoire. Il y a deux morts absurdes. Il y a un travailleur tué par une balle perdue et un homme malade qui n'aurait pas dû mourir comme ça.

«Je connaissais Mario depuis longtemps, sans le connaître vraiment; je viens d'apprendre qu'il s'appelait Mario Hamel.»

Il le croisait souvent dans son quartier. «Un gars cool, super tranquille... Un peu moins ces dernières semaines.»

Il le croisait dans la rue. Au parc Émilie-Gamelin. Au métro Berri. Dans un café. Au McDo. Savez, ces visages sans nom qui nous quêtent quelques pièces? Il y avait Mario.

«Chaque fois, on se saluait. Des fois, un peu plus, comme pour demander: "Comment ça va? La santé? Que fais-tu ces temps-ci?" Et avant de continuer ma route, je lui donnais une petite tape sur l'épaule en lui disant: "Prends soin de toi."»

Il le savait «psychiatrisé» -on finit par savoir ces choses-là. C'était un gars sympathique qu'il aimait bien.

«Je vais marcher là où il a terminé sa route. Lui dire une dernière fois de prendre soin de lui.

«Là où j'habite, j'ai pu voir en direct plusieurs interventions des policiers avec des personnes psychiatrisées ou intoxiquées par l'alcool ou la drogue. Dans au moins deux cas, les personnes avaient une arme blanche. Aucune ne s'est terminée dans le sang, mais plusieurs avec une certaine violence.

«Chaque fois, les policiers procèdent rapidement de façon à se placer physiquement à l'intérieur de cette "zone mortelle", et souvent la provocation policière est au rendez-vous.

«Je veux dire que, s'ils ont tellement changé leurs méthodes, ça ne paraît pas tant que ça. Je ne les ai pas vus tellement négocier.

«Et si ça dégénère au point où ils doivent sortir leur arme, ils seront justifiés de "tirer dans le milieu du corps", comme disait l'ancien policier Poëti l'autre jour à la télé. Tuer légalement.

«En tout cas, mourir sur le trottoir, quelle calamité! Je n'en reviens pas encore. Mario ne méritait pas ça!»

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Quelques heures avant, je reçois un courriel d'un policier anonyme -je crois que c'est une policière, en fait.

Comment pouvez-vous juger? Que faites-vous de la violence des gens? Pensez-vous que les policiers ont un plaisir à utiliser leur arme à feu?

Nous, on se défend, on réagit, on neutralise, dit-elle. «On ne veut pas tuer!»

Vous dites que ça n'a pas de sens, monsieur le journaliste, mais c'est l'état de Mario Hamel qui n'avait pas sens: «Ce matin-là, il avait déraillé au point de devenir incontrôlable et dangereux, au point d'être craint par tous! Même par ceux qui le connaissent et l'appellent par son prénom! L'ami qui a refusé de prêter sa voiture à Mario, ce matin-là, le croyait devenu assez imprévisible pour appeler la police. Et ce deuxième citoyen, qui a confronté ce Mario menaçant et incohérent, qui brandissait son couteau, ça ne sonne pas de cloche dans votre tête? Et le fait qu'ultimement Mario charge les policiers avec son couteau? Jusqu'au moment où il faut utiliser une force létale... Mais ça, personne ne le souhaite!»

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Bien sûr, personne souhaite «ça». Je ne crois pas au policier trigger happy. Je suis convaincu que les policiers qui ont participé à cette opération sont tous traumatisés.

Il y aura une enquête policière, qui risque fort de dire que le policier a tiré pour se défendre, et légitimement, puisqu'il était l'objet d'une menace directe. La loi (à juste titre) prévoit l'emploi de la force par les policiers.

Il s'en trouvera pour dire que l'enquête n'a pas été indépendante.

Je répète que, quant à moi, c'est l'opération policière qui pose problème. Comment on en est arrivé à ce point mortel, où il n'y avait plus rien d'autre à faire que de tirer pour se défendre.

Ni la police ni personne ne devrait se satisfaire de la légalité des coups de feu pour classer ces morts au rayon des accidents regrettables.

C'est la source de ce tragique ratage qu'il faut trouver, pas sa légalité au regard du Code criminel.