Jean Charest n'arrête pas de mourir. Et de revenir. Et ces jours-ci, pour un homme mort, il se porte plutôt bien.

Voici son parti devant le PQ dans le dernier sondage CROP. Ou disons qu'ils sont virtuellement à égalité.

Après tout ce qui a collé au Parti libéral? Après cette demande unanime d'enquête sur l'industrie de la construction? Une histoire de projet d'amphithéâtre suffit à changer la donne? Faut-il que Pauline Marois soit faible...

Il n'est pas assez génial pour avoir prévu les dernières péquisteries. Mais il est assez brillant pour profiter des tendances historiques de ce parti à l'automutilation.

Il fallait l'entendre ronronner paternellement, lundi, après les trois démissions, en devisant sur les problèmes fondamentaux du PQ et de la façon déplorable de faire de la politique qu'ont soulevée les démissionnaires, problèmes qu'eux aussi (les libéraux) avaient dénoncés...

Ça n'avait évidemment rien à voir, et les démissionnaires méprisent profondément le gouvernement actuel. Mais Jean Charest voulait boire ce petit lait en public.

Et maintenant que le PQ s'est ouvert les veines en public, il annonce qu'il n'y en aura même pas, de vote sur la légalité de l'entente Labeaume-PKP.

Ben là!

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Quelle ironie: c'est le gouvernement libéral qui décide d'engloutir 200 millions dans l'amphithéâtre, sans trop poser de questions. Une mesure qui divise l'opinion. Mais c'est le PQ qui est blâmé!

Tous les bénéfices (ou presque) pour les libéraux, qui se rendent agréables à la région de Québec.

Toutes les pertes pour le PQ, qui passe pour avoir sacrifié ses principes afin de bien paraître à Québec. Ces mêmes principes de transparence au nom desquels Pauline Marois pourfendait le gouvernement depuis deux ans.

Il fallait Amir Khadir pour le dire et que ça fasse mal - Québec solidaire récolte d'ailleurs la moitié des bénéfices électoraux, au fait, et dépasse l'ADQ!

Résultat: c'est Pauline Marois qui a été obligée, hier, de reconnaître son erreur. C'est elle qui perd quatre députés très importants. C'est elle qui agonise politiquement et sort piteuse de l'Assemblée nationale avec «son» projet de loi privé tout fripé...

L'ombre de Parizeau

Tout cela ne va pas pour autant sauver Jean Charest. Mais ça pourrait achever Pauline Marois.

Que lui reste-t-il d'autorité, avec quatre députés aussi respectés qui lui disent de démissionner?

Impossible de leur dire «bon débarras». Impossible de les ignorer.

Tout ça pendant que François Legault monte sa petite affaire. Même chez les souverainistes, 51% des répondants sont favorables à la création d'un nouveau parti politique. Et 43% pensent que cette crise menace la survie même du Parti québécois. En même temps, seulement le tiers des répondants souverainistes pensent que la priorité du PQ devrait être de «tout mettre en oeuvre pour réaliser la souveraineté du Québec». Les deux tiers croient qu'il devrait d'abord former un bon gouvernement.

On lit ici un goût de nouveauté dans le paysage. Et une baisse d'intérêt pour le débat sur l'indépendance - même chez les «souverainistes» -, et les dernières élections fédérales montrent bien que cet enjeu (Oui contre Non) n'est plus le premier moteur électoral au Québec.

Que demander de mieux pour François Legault? La fenêtre est grande ouverte.

François Legault qui se place dans le milieu nationaliste pour aller chercher autant des libéraux, des adéquistes que des péquistes désillusionnés. Grand terrain de jeu.

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Pendant ce temps, comment ne pas voir l'ombre de Jacques Parizeau dans les événements de la semaine? Lui qui, l'automne dernier, a critiqué Pauline Marois et sa souveraineté en forme de «hochet».

Depuis la fondation du PQ, Jacques Parizeau a été celui qui a mené la fronde contre les chefs pas suffisamment résolus - tous sauf lui, en somme.

Contre René Lévesque en 1984, contre Pierre Marc Johnson en 1987, contre Lucien Bouchard, tout le temps... Bernard Landry est tombé sous les coups des radicaux. André Boisclair aussi.

Et maintenant, Pauline Marois est menacée.

Jacques Parizeau est au PQ ce que Pierre Elliott Trudeau a été à la Constitution: incapable d'accepter une autre manière que la sienne. Et le personnage avec une autorité morale incomparable.

Est-ce que le PQ peut éternellement vivre dans ce déchirement? Dès qu'un chef qui sait lire l'opinion publique veut parler un peu moins de souveraineté, il est menacé de mort politique.

Un jour, ce parti implosera probablement. Un parti souverainiste plus radical en émergera pour continuer cette lutte sans compromis électoraliste. Il sera peut-être enfin bien dans sa peau, quitte à attendre longtemps le pouvoir.

Et je miserais un vieux deux que, quels que soient les chefs, la prochaine Assemblée nationale ne ressemblera à rien de ce qu'on a vu depuis deux générations.