Il a quitté la barre des témoins après quatre jours comme un homme mort et il n'y a toujours rien à comprendre - ou tout à comprendre.

Toujours cette tête baissée, ce regard vide, ce ton plaintif, cette voix fragile, ce récit syncopé, hier noyé dans les sanglots.

À la surface des choses, le 20 février 2009, un père et ses deux enfants se préparent à un vendredi comme en vivent des millions de familles.

Sous la surface, la détresse, mais la rage aussi, envahissent Guy Turcotte.

L'amant de sa femme a emménagé dans la maison familiale le jour même de son départ. Ils ont emmené les enfants au Carnaval de Québec la semaine suivante. Les serrures sont changées. Il se sent «expulsé» de sa propre famille. Ça le fait «capoter».

Mais pourquoi il se retrouve en fin de soirée avec le sang de ses enfants sur les mains, ça...

Il n'est pas capable de le dire. Ni de vivre avec.

Et c'est ce qu'il est venu dire dans ce procès, au fond.

«La seule raison pour laquelle je suis ici, c'est parce que je voulais dire à Isabelle (et à sa famille, et à tous ses proches, et à tout le monde) que cette soirée-là s'est passée dans la détresse... Je n'accepte pas ce qui est arrivé, je ne comprends pas pourquoi ça peut arriver...»

Je ne me souviens pas avoir entendu silences plus lourds dans une salle d'audience. Une salle où les deux familles sont réunies, jour après jour, dans une atmosphère de plomb.

* * *

Tout ressemblait tellement à des millions de vendredis soir nord-américains.

Il est 18h. Il est avec son fils de 5 ans, Olivier, et sa fille de 3 ans, Anne-Sophie. Ils vont louer des vidéos. Ils veulent des bonbons et des chips. Il achète des chips. Ils regardent Caillou. Après souper, les chips. Ils mangent des spaghettis. Ils vont se brosser les dents. Il leur chante une berceuse.

Ah, c'est vrai, il y a eu ce moment où il est allé pleurer dans le salon en regardant le film avec les enfants. Ils l'ont pris dans leurs bras. Ils lui ont dit «je t'aime, papa». Mais sinon, à la surface...

Il est descendu pour regarder un film à son tour, mais a attendu qu'ils s'endorment.

Il va à l'ordinateur. Il ouvre ses courriels et décide d'aller lire pour la première fois les courriels d'amour qu'Isabelle et son amant s'échangeaient.

«Je ne sais pas à quoi j'ai pensé...»

En vérité, il est obsédé par sa rupture et ça le détruit.

En écoutant cette longue descente dépressive dans l'abîme, on ne peut s'empêcher de voir tout ce qui aurait pu se passer autrement, tout ce qui aurait pu ne pas arriver...

Mais on a beau s'accrocher à la banalité des événements, le pire va arriver, on le sait.

En lisant ces courriels entre sa femme et son amant, il voit à quel point ces deux-là sont amoureux et ça l'anéantit - encore un peu plus.

«Tu vois dans ce qui est écrit combien ils s'aiment... De l'amour comme ça, j'ai jamais connu ça...»

Une douleur comme il n'en a jamais senti l'envahit. «Ma vie est finie...»

C'est là, dit-il, sur le coup, qu'il décide de se suicider. Il cherche sur l'internet.

«Mourir, mourir, mourir...»

Il dit qu'il ne se souvient pas de ce qui est arrivé, sauf des flashs. Mais, mis bout à bout, tous ces flashs nous racontent assez précisément le déroulement des événements.

Il se voit aiguiser un couteau pour se le planter dans le coeur. Mais il n'a pas la force de le faire. Ensuite, il avale du liquide lave-glace. Il s'imagine mort, découvert par ses enfants. «Là, je me dis: je vais les emmener avec moi...»

Il se voit ensuite poignarder son fils et «faire la même affaire» à sa fille.

Il se voit avec du sang sur les mains, il se voit chercher le couteau pour se tuer, il ne le trouve pas, il avale encore du liquide... Puis il est dans son lit... Il est réveillé par des voix - c'est la police. «Oh non, je ne suis pas mort...» Et il se glisse sous le lit, où les policiers le trouvent tout de suite.

«Je vois les images, je sais que c'est arrivé de mes mains, je vis avec ces images et ça me terrorise... Un père ne peut pas faire ça à ses enfants...»

La même affreuse incompréhension traverse toute la salle, restée muette. Dans le corridor, on entend des pleurs.