Et ils nous disaient que bof, ça ne les intéressait pas tant que ça...

Tu parles.

À Trafalgar Square, l'amiral Nelson nous regarde de haut tandis que la marée humaine défie les prédictions les plus optimistes.

Pas moyen de se frayer un chemin à Westminster. Ni au «Mall», sorte de Champs-Élysées londoniens menant vers le palais de Buckingham.

Ceux qui n'ont pas campé ici sont arrivés à l'aube.

Des touristes? Pas mal, oui. Mais une foule très londonienne. Très émue aussi.

Un million de personnes massées pour voir passer un carrosse quelques secondes, ça doit bien vouloir dire quelque chose.

Un auteur disait la semaine dernière que ce qui a paru tuer la royauté britannique pourrait finalement la sauver.

Quoi donc?

Le goût très contemporain pour la célébrité. Le simple amour de la notoriété, sans autre objet.

Toutes les années 80 ont été une descente aux enfers pour la famille britannique, accablée de séparations, de déboires financiers et de mauvais jugements.

Une famille royalement ordinaire, en somme, telle qu'exposée et exploitée quotidiennement dans les journaux britanniques.

Dans des événements nationaux comme celui d'hier, même le sérieux Independent, qui avait juré ne jamais vouloir faire de (fausses) nouvelles avec la famille royale, consacrait sans surprise sa une et un espace conséquent à l'Événement. Depuis la mort de la reine mère, à 101 ans en 2002, une sorte d'apaisement médiatique a vu le jour.

Des films comme Sa majesté la reine (The Queen) (2006) et Le discours du roi (The King's Speech), l'an dernier, qui montrent sous un jour sympathique Élisabeth et son père George VI, n'y sont pas totalement étrangers. On aurait tort, toutefois, de ravaler l'intérêt à un pur culte de la célébrité. Il est question d'identité.

«Cette cérémonie sera un condensé de britishness», disait une porte-parole hier.

Mais si la reine, à 85 ans, est plus que jamais un symbole de dignité et de continuité, les Britanniques ne pensent pas autant de bien de Charles, l'héritier de 62 ans.

À part ses problèmes sentimentaux passés, il passe pour bizarre avec sa méfiance pour la modernité, son goût pour la vie rurale, l'alimentation bio et l'architecture traditionnelle. Il s'est fait le promoteur d'une sorte de village de carte de postale style XVIIIe siècle, créé de toutes pièces à Poundbury. Il s'est opposé très directement à plusieurs projets architecturaux avant-gardistes dans la capitale, intervenant sans retenue auprès de promoteurs et de politiciens.

C'est affaire de goût et probablement que la plupart des sujets du futur Charles III partagent son conservatisme esthétique.

Mais depuis 150 ans, le droit constitutionnel britannique interdit au roi de jouer quelque rôle politique significatif que ce soit.

À part les querelles byzantines sur la possibilité d'accéder au trône (et donc à la tête de l'Église anglicane), quand on marie une femme divorcée se pose la question beaucoup plus aiguë: est-il capable de demeurer à l'écart des enjeux politiques? - car il en a aussi contre l'éducation nationale, la médecine moderne, est amateur d'homéopathie, etc.

Depuis longtemps, on se demande si, pour sauver la monarchie, il ne lui faudrait pas y renoncer. C'est ce que souhaite une majorité de Britanniques, qui préfèrent voir William succéder à sa grand-mère.

Oui, mais si l'opinion publique s'en mêle, aussi bien élire le monarque...

Ce qui nous ramène à la question constitutionnelle. Il n'y a pas vraiment moyen pour le Parlement de choisir son souverain - c'est arrivé une fois au XVIIe siècle, et en 1936, c'est en faisant pression sur lui qu'on a forcé Édouard VIII à abdiquer, lui qui allait marier une femme divorcée.

Vu la personnalité de Charles, les experts pensent qu'au contraire, il sera trop content de devenir roi pour livrer son message à un monde en perdition...

Toutes questions qui, la génétique aidant, risquent de ne pas se poser avant une dizaine d'années... Mais même Charles parti, resteront la direction de l'Église anglicane, la primogéniture masculine et autres vieilleries constitutionnelles datant de l'Act of Settlement de 1701, et qui seront encore plus irrecevables si l'aînée de Catherine et William est une fille.

Gardons notre calme. Le génie britannique n'a-t-il pas toujours consisté à raccommoder les traditions les plus bizarres, à faire du moderne avec de l'antique?

N'allons pas enterrer trop vite la monarchie.

Elle vient peut-être de se refonder quand on la croyait moribonde.