Nous avons rendez-vous près de la statue de Richard Coeur de Lion, à l'entrée des «pairs».

Martin Thomas, un des avocats criminalistes les plus connus en Angleterre, est aussi Lord Thomas, baron de Gresford.

Après avoir échoué huit fois à se faire élire comme député libéral, cet homme «de gauche» est devenu membre de la Chambre des lords du Parlement de Westminster, en 1996 - le modèle du Sénat canadien.

Qu'est-ce qu'un homme réputé radical fait dans un endroit pareil?

Le joueur de rugby de 73 ans m'entraîne dans l'édifice vieux de 900 ans. Nous traversons la galerie royale. «La reine passe par ici pour venir ouvrir la session.» Voici le salon où elle met sa couronne. Il me montre les lourdes dorures qui occupent tout le plafond. «Ça date de Victoria, ils ont une rage de décoration, comme vous voyez.»

Il me fait entrer dans la Chambre des lords - après qu'un agent de sécurité m'ait fourni une cravate, s'excusant de n'avoir qu'une grise. Il va s'asseoir et fait mine d'écouter une lord parler des pensions, tandis que j'observe le trône doré de la reine, au fond - car c'est de la chambre haute qu'elle parle. Une centaine de lords sont présents - sur 792.

Nous allons dans Westminster Hall, la plus vieille partie de l'édifice. «Le procès de Charles 1er a eu lieu ici», glisse mon guide nonchalamment. De sa décapitation est née une république en 1649. Mais 10 ans plus tard, la monarchie anglaise a été restaurée et pour bien marquer le coup, on a exhumé le corps de ceux qui avaient fait exécuter le roi et on leur a infligé une décapitation posthume... On ne s'y est pas vraiment ressayé.

Nous marchons entre les bustes des premiers ministres des siècles passés.

- Prendriez-vous un thé?

Lord Thomas m'emmène sur la terrasse réservée aux pairs, qui surplombe la Tamise. Derrière nous un évêque tape sur son BlackBerry - 26 évêques sont d'office membres de la Chambre des lords.

Voici donc cet homme, qui a défendu des terroristes de l'IRA, qui a été engagé dans des causes des droits de la personne, qui a combattu la hiérarchie militaire lors de retentissants procès de soldats britanniques en Irak, le voici dans cet endroit accablé d'histoire et de traditions rétrogrades.

Que fait-il?

«J'essaie d'influencer le gouvernement», dit-il. Rare occasion, en effet, puisque les libéraux-démocrates, naguère en voie d'extinction parlementaire, forment une improbable coalition avec les conservateurs de David Cameron. Lord Thomas est le critique en matière de justice.

Je lui cite l'avocat britanno-autralien Jeffrey Robertson, qui dénonçait hier cette institution «sexiste, raciste et brimant la liberté de religion».

Il éclate de rire. «J'ai eu plein de causes avec Jeff. Jeff est un Australien...»

Et alors?

«Je vais vous confier le secret de la monarchie britannique, dit-il très lentement.

«Vous échouez dans ce monde et après 12 ou 15 mois d'existence, quelqu'un se met à vous parler d'une reine. Dans mon cas, c'était un roi. Et vous grandissez. Et sa fille se marie. Je me souviens très bien du mariage d'Élisabeth avec le duc d'Édimbourg, en 1947. Puis le roi meurt. Et la reine est couronnée. Et elle a des enfants. Et ainsi de suite.

«Appelez ça un soap opera ou un conte de fées si vous voulez, c'est profondément ancré dans nos vies. Ça fait partie du décor, c'est pour ainsi dire la toile de fond, le tissu sur lequel le pays tisse son histoire.»

- Oui, mais vous êtes gallois...

- Absolument, je joue au rugby et je joue de la harpe, comme il se doit!

«Je me suis battu pour la dévolution des pouvoirs au pays de Galles. Quand Charles a été intronisé prince de Galles, en 1969, au château de Caernarfon, des nationalistes avaient prévu des émeutes. Ils ont posé des bombes pour faire sauter le train royal mais sont morts en les installant. Il n'y a eu aucun ressac antiroyaliste par la suite.

- Mais on ne peut pas dire que la monarchie soit en grande forme...

- Elle était bien plus menacée il y a 200 ans! Les ministres étaient encore choisis par le roi, qu'ils méprisaient. Songez que George IV (1762-1830) a eu 50 enfants, dont un seul légitime... Les politiciens étaient frustrés au dernier degré.

«Aujourd'hui, il n'y a plus de révérence envers la monarchie, mais pas de sentiment antimonarchique pour autant.»

Il est en faveur d'une réforme qui ne donnerait pas préséance aux garçons - le Parlement n'a qu'à modifier des lois du début du XVIIIe siècle. Il est aussi pour l'élection de tous les membres de la Chambre des lords - présentement, ils sont nommés par le premier ministre, et 92 y sont encore par droit héréditaire.

«Mais franchement, la monarchie n'est pas un sujet qui vaut la peine qu'on y consacre du temps. On a des choses plus urgentes au programme» - des compressions budgétaires historiques et un référendum sur le mode de scrutin, notamment.

Si ça vient de l'aile gauche du Parlement...

- Allez-vous voir le mariage?

- Bien sûr. J'aime la musique... Vous avez assisté à un mariage déjà? Deux jeunes gens qui s'engagent pour la vie, devant leur famille, comment voulez-vous que ce ne soit pas émouvant?