L'employeur a le droit de surveiller ses employés. Mais ça ne veut pas dire qu'il peut ouvrir tous ses courriels sans raison. Il faut des motifs.

Et si cet employé se trouve à être le vérificateur général de la Ville, il faut plus que des motifs. Il faut d'infinies précautions.

Pour la raison très simple qu'il n'est pas un employé comme les autres: il est celui qui surveille, en toute indépendance, l'administration de la Ville.

Il tombe sous le sens qu'il doit travailler de manière étanche, rencontrer les témoins discrètement, vérifier des renseignements parfois confidentiels, consulter des avocats, recevoir des dénonciations anonymes de fonctionnaires, etc.

C'est tout cela - en fait l'institution même du Vérificateur général - qui est remis en question si un le contrôleur de la Ville fouille dans sa correspondance.

Dans le cas qui nous occupe, à supposer que quelqu'un à la Ville ait le droit de scruter cette correspondance, aucun des motifs invoqués pour le faire ne tient la route.

On reproche à Jacques Bergeron d'avoir scindé en deux un contrat de sous-traitance pour ne pas avoir à faire d'appel d'offres. Il s'agit apparemment de services d'avocats dont les coûts ont dépassé la somme prévue.

Dans un deuxième cas, on lui reproche d'avoir donné deux contrats de traduction à sa belle-soeur pour un total de moins de 5000$. Enfin, il aurait utilisé le matériel de la Ville pour rédiger une conférence universitaire.

Il va de soi que les vérificateurs doivent être plus scrupuleux que tous les autres employés de l'Administration.

Est-ce une bonne idée de confier deux contrats, aussi petits soient-ils, à sa belle-soeur? Sans doute que non. Mais en quoi cela nécessite-t-il une enquête sur toute sa correspondance?

Voilà des faits facilement vérifiables, publics même. Il n'y a rien là de mystérieux et tout peut se régler très facilement. À ce compte-là, aussi bien aller perquisitionner dans son bureau et dans son appartement...

Quelle justification peut-on avancer, donc, pour fouiller dans tous les échanges de courriels? Il n'y en a aucune qui tienne la route.

Ce qu'on peut raisonnablement craindre, par contre, c'est que le contrôleur de la Ville, Pierre Reid, soit carrément parti en chasse contre le vérificateur. Le vérificateur Bergeron n'est pas commode, il est même frondeur, et il s'est mis à dos le bureau du maire, la direction générale et bien des gens à la Ville.

Pierre Reid nous dira que c'était de bonne foi, à la suite d'allégations graves, qu'on s'est mis à espionner Jacques Bergeron.

Mais il y a trop d'animosité entre la Ville et le vérificateur général pour qu'on avale cette couleuvre sans autre forme d'explication. Il y a une sorte de présomption de règlement de compte tant le procédé est grossier et inacceptable.

Dans une administration lourdement entachée par les scandales, il n'y a pas d'excuse pour avoir procédé avec autant d'amateurisme.

Je disais plus haut: à supposer qu'une Ville ait le droit de fouiller dans la correspondance de son VG.

Il n'y a pas de mécanisme clair dans la Loi sur les cités et villes, mais l'esprit de la loi nous indique assez nettement que, s'il y a lieu d'enquêter sur un vérificateur général, ce doit être fait par une autre instance que la Ville.

C'est peut-être un peu moins clair dans une Ville de Montréal, où il existe un poste de contrôleur. Mais toutes les villes de 100 000 habitants et plus sont tenues d'avoir un VG. Imagine-t-on qu'elles puissent toutes, sous prétexte de bonne gestion, enquêter sur leur chien de garde?

Voyez-vous ça à Laval, disons?

Merci, moi non plus.

Il faut s'en remettre à une autre instance quand une ville a un problème avec son vérificateur. En l'occurrence, le ministère des Affaires municipales, à Québec. Encore qu'il ne soit pas interdit de poser des questions directement au VG sur ses contrats...

Non, vraiment, on a beau fouiller, aucune des raisons avancées ne tient la route.

C'est sans doute pour cela que le ministre des Affaires municipales, Laurent Lessard, a déclaré le procédé inacceptable et demandé des comptes.

C'est sans doute pour cela aussi que Gérald Tremblay se cache derrière ses communiqués, comme le directeur général, Louis Roquet.

Sous prétexte de surveiller une institution capitale pour la démocratie municipale, leur administration l'a torpillée sans aucune raison valable.

Pendant combien de temps le maire Tremblay va-t-il se défiler?