C'est bien sûr la mairesse de Boisbriand, Sylvie St-Jean, qui a eu la vedette de la première série d'accusations issues de l'escouade anticorruption Marteau.

Je dis «bien sûr», parce que des accusations de corruption contre un maire, c'est très sérieux et ce n'est tout de même pas fréquent. En plus, on a des photos.

Mais les accusations les plus graves ne sont pas nécessairement les plus visibles.

Quatre employés de deux firmes de génie-conseil sont également accusés dans cette affaire. Deux de BPR et deux de Roche. Se trouve parmi les accusés la vice-présidente principale de Roche, France Michaud, responsable de la gestion et du «développement des affaires».

Roche n'est pas exactement une binerie. C'est une firme qui emploie 1100 personnes et qui a des contrats à l'international. Et voilà que le numéro deux de l'entreprise fait face à 13 accusations criminelles, dont fraude et corruption. Roche lui a renouvelé sa confiance et insisté sur la présomption d'innocence.

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En attendant de connaître la preuve, notons que ces accusations sont du jamais vu au Québec. Elles nous suggèrent un système extrêmement bien organisé de corruption dont les élus ne sont que les insignifiantes marionnettes.

Un système où des firmes de génie-conseil organisent la répartition des contrats entre différents constructeurs.

Comment? D'abord, en finançant et en organisant l'élection de gens qui vont faire passer les bons projets.

Ensuite, il faut savoir que dans une ville comme Boisbriand, d'un peu moins de 30 000 habitants, on n'a pas le service d'ingénierie pour élaborer les plans et devis d'une usine d'épuration des eaux.

Alors, on confie le mandat à une firme extérieure. Dans ce cas-ci, Roche. Ce sont ces ingénieurs qui diront ce dont on a besoin, ce sont eux qui feront une évaluation des coûts.

Ensuite, on lance un appel d'offres. Roche ayant fait les plans ne peut pas participer à l'appel d'offres, évidemment. Mais elle détient de précieuses informations qui intéressent les soumissionnaires.

Des informations sur le prix cible et sur certains points techniques importants. Voilà qui aiderait drôlement les firmes de construction à viser juste au moment d'offrir ses services...

La même firme qui a dressé les plans de l'usine sera celle qui va surveiller les travaux.

Si tout se passe avec intégrité, c'est l'assurance d'un regard extérieur. Mais s'il y a collusion, la firme de surveillance sera aussi celle qui autorisera les fameux «dépassements de coûts» et autres imprévus.

Si la firme de surveillance est complice de l'entrepreneur, elle lui dira d'avance où et comment faire exploser ses coûts... une fois qu'il aura offert les travaux au plus bas prix.

C'est ainsi que se pervertit habilement tout le beau système des appels d'offres, censé préserver l'intégrité des marchés publics.

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Plusieurs ont dit que ces accusations n'étaient qu'un hors-d'oeuvre. C'est vrai qu'on n'est pas dans une des plus grandes villes du Québec. Mais je le répète: la mairesse là-dedans n'est qu'un pion.

Ce qui est gros, très gros, c'est la somme des accusations criminelles contre des employés de deux firmes de génie-conseil importantes du Québec. Quand la vice-présidente de Roche est impliquée, c'est qu'on peut vraiment croire à un vaste système, qui a étendu ses tentacules sur l'ensemble du territoire québécois. Voilà ce qu'on appelle un système.

Si, comme on le pense, ce système frauduleux implique directement plusieurs firmes de génie-conseil québécoises, les conséquences pourraient être catastrophiques.

Il y a en fait dans cette «petite affaire» les ingrédients de toutes les autres. Collusion entre firmes de génie et de construction, va-et-vient entre employés municipaux et firmes de génie, financement politique frauduleux...

Ne manque qu'un tour en bateau.

Un des employés de BPR accusés dans la même affaire, Claude Brière, est un ancien employé municipal de Boisbriand. Un grand classique. Partout au Québec, à Montréal, à Laval, à Longueuil, on a vu des exemples de copinage et de «pantouflage», c'est-à-dire d'embauches d'anciens employés municipaux. Ce n'est pas un crime en soi. Mais on voit que dans bien des cas, c'est un maillon indispensable de la chaîne de corruption.

Loin de calmer les demandes pour une commission d'enquête, d'autres accusations du genre pourraient au contraire la rendre nécessaire.

Si ces accusations sont maintenues, il y a beaucoup plus dans cette affaire qu'une sombre mairesse et un entrepreneur véreux. Il y a la matrice de la corruption dans les chantiers publics et dans la politique au Québec.