La veille de Noël, il y a quelques années, le téléavertisseur d'un homme qui attendait un rein a sonné. C'était son tour après presque deux ans à attendre.

On lui a transplanté le rein, il allait cesser de se soumettre à des séances de dialyse, sa vie reprendrait un cours à peu près normal.

Mais le lendemain de Noël, on a décelé des anomalies cardiaques, jusque-là inconnues, et aggravées par l'opération et les traitements qui s'ensuivent. L'homme est mort au mois de mars. S'il n'avait pas subi de greffe, il serait probablement encore en vie.

C'est du moins ce que pense la lectrice qui m'a écrit l'histoire de son père, après ma chronique de la semaine dernière sur le don d'organes.

Elle n'en a pas contre le don d'organes et elle a signé son consentement, comme les autres membres de sa famille. Simplement, dit-elle, il faut bien voir la greffe d'organe pour ce qu'elle est: un dernier recours.

C'est vrai. Les greffés doivent vivre toute leur vie en prenant quantité de médicaments pour éviter le rejet de l'organe. Ces mêmes médicaments en appellent d'autres, pour en minimiser les effets secondaires, sans parler des complications inévitables qui s'ensuivent.

Les nouveaux organes ne sont pas non plus éternels. Certains doivent recevoir deux fois un organe après un certain nombre d'années.

Tout cela n'est pas simple ni gratuit.

Mais les vies des malades le sont encore moins - simples et gratuites. Bernard Cyr, dont je parlais la semaine dernière, ne peut plus travailler et n'attend que le jour où il pourra se précipiter au bureau en respirant à peu près normalement. Il est hospitalisé au moins quatre mois par année, à cause des infections diverses qu'il contracte. Il consomme déjà, pour sa fibrose kystique, une quantité astronomique de médicaments et vit les trois quarts du temps sous condensateur d'oxygène.

On a calculé que la greffe d'un rein faisait économiser 100 000$ à l'État en soins de santé. Tout cela est bien discutable et, de toute manière, c'est un jeu comptable un peu morbide. Le traitement existe, sauve des vies, en prolonge et en améliore d'autres notablement.

Comme pour cette lectrice qui a attendu trois ans avant de recevoir des poumons en août 2009. Ça fait donc 16 mois. Elle avait une capacité respiratoire de 30% et avait donc toujours besoin d'oxygène. Elle est maintenant de 100%. Elle joue au tennis - il y a des Jeux des greffés canadiens, ils se sont tenus à Québec l'été dernier. Elle recommence à faire du ski. Elle vit.

***

La loi favorisant les dons d'organes et de tissus, adoptée ce mois-ci à Québec, rendra les choses un peu plus simples, en créant un registre permanent des donneurs d'organes. La loi n'est pas encore en vigueur, alors ne cherchez pas ce registre. Une lectrice me demande pourquoi je n'ai pas donné le lien internet pour trouver le formulaire de consentement. D'abord parce que c'est assez simple en allant sur le site de Québec-Transplant. Ensuite parce que le chef de pupitre trouve que ça fait un peu lourd dans une chronique d'écrire des trucs comme https://msssa4.msss.gouv.qc.ca/fr/document/publication.nsf/4b1768b3f849519c852568fd0061480d/db789b93f257aba6852570f50059b224?OpenDocument, mais puisque vous y tenez, c'est ça.

***

On l'a dit, seule une petite minorité de patients meurent à l'hôpital dans des conditions permettant de donner ses organes (1,4%). Une lectrice m'écrit l'histoire de son père, qui avait clairement exprimé son intention. Il fait une chute bête l'hiver dernier sur un tapis à l'épicerie, subit un traumatisme crânien et se retrouve à l'hôpital.

Il meurt 12 jours plus tard. Enfin, pas tout à fait: neurologiquement, il n'est pas mort. Mais les dommages au cerveau sont irréversibles. «Il allait être débranché et, au bout de quelques heures, il cesserait de respirer. Mais comme nous avions dit oui au don d'organes, cela ne pouvait se passer ainsi. Ils devaient attendre la mort neurologique de mon père avant de procéder au prélèvement. Pour ce faire, ils ne pouvaient le débrancher car cela rendrait ses organes inutilisables. Combien de temps pouvait prendre la mort neurologique? Quelque part entre 72 heures et des semaines...» Après 12 jours, la famille n'en pouvait plus, il a été débranché et ses organes n'ont pas pu être utilisés.

On permet maintenant au Québec les dons d'organes après une mort «cardiocirculatoire». Le cerveau est irrémédiablement atteint, mais il n'y a pas mort cérébrale; par contre, un arrêt de traitement entraînera la mort parce que le patient arrêtera de respirer. Mais tout dépend de l'hôpital où ça se passe.

Dans tous les cas, on exige que deux médecins qui ne sont pas liés à des opérations de greffe constatent le décès. Et le tout est très surveillé, on imagine facilement ce qu'une course aux organes peut entraîner, sans même parler du trafic - trafic rendu plus florissant par la rareté, au fait.

Il y a l'inévitable cortège des antimédicaments, ceux qui voient dans la promotion du don d'organes un complot pharmaceutique.

Allez dire ça à ceux qui survivent grâce à ces médicaments. Aux parents qui s'accrochent à cet espoir pour que leur enfant survive à une maladie mortelle. On s'en reparle ensuite.