Quelle blague de voir la fédération étudiante et la CSN s'allier dans un combat soi-disant progressiste pour le gel des droits de scolarité!

Le système de financement actuel pompe l'argent des classes moyennes vers les bourgeois d'aujourd'hui et, surtout, de demain. Mais c'est toujours au nom de l'accessibilité qu'on défend le gel.

En tenant compte de l'inflation, les étudiants d'aujourd'hui paient moins que ceux de 1968.

C'est curieux, l'université est moins chère au Québec que partout ailleurs au Canada, et de très loin: les droits, cette année, sont de 2073$, comparativement à une moyenne de 4601$ dans le reste du Canada. Mais c'est néanmoins ici qu'elle est la moins fréquentée.

Mieux: on continue au Québec à faire payer à l'étudiant en médecine, qui paie 14% du coût de sa formation, le même tarif que l'étudiant en lettres, qui en paie 42%. Les perspectives de revenu sont de l'ordre du 10 pour 1 pour le reste de leur vie. Mais qu'importe: vive l'équité!

Ah, bien sûr, on voudrait tous, comme Françoise David, que l'université soit gratuite. Voyez le modèle français: d'un côté les grandes écoles hyperperformantes, qui sélectionnent les meilleurs étudiants, qui ont des équipements de rêve... Et, de l'autre, les universités «ordinaires», généralement dans un état pathétique.

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Mais au fait, pourquoi les universités veulent-elles plus d'argent? Parce que, en ce moment, elles fonctionnent avec en moyenne 10 689$ par étudiant. La moyenne canadienne est de 13 246$. C'est une différence de près de 20%.

On peut laisser faire et augmenter les droits en fonction de l'inflation - ce que ne manqueront pas de faire toutes les autres universités, évidemment. Mais avec 20% d'écart, il n'y a pas de miracle. On continuera, comme dans bien des facultés, à geler l'embauche ou à multiplier les programmes pseudo-universitaires donnés par des chargés de cours.

Le manque à gagner québécois, c'est l'équivalent de 3000 à 4000 professeurs d'université. C'est évidemment la qualité de l'enseignement et de la recherche qui s'en ressentira. Quel beau combat mène ma CSN: surtout, continuez à embaucher des chargés de cours comme cheap labor! Quoi? Ah, on veut les embaucher quand même? O.K., qui va payer? Le gouvernement, bien entendu. C'est-à-dire la perpétuation, en pire, du système inéquitable actuel, qui fait payer les parents d'enfants qui ne vont pas à l'université pour ceux qui s'y rendent.

Continuer à fonctionner au Québec avec un manque à gagner de 600 à 800 millions par année mène au déclin. Les meilleurs chercheurs et les meilleurs étudiants sont moins que jamais condamnés à rester chez eux. Ils veulent aller là où ça se passe, là où il y a une masse critique de chercheurs.

Ça ne devrait pas être une option si on a le moindrement d'ambition pour le Québec. Avec le déclin universitaire vient le déclin économique, intellectuel, social.

Alors, il faut aller chercher d'autres revenus. Demander aux étudiants une contribution de quelques milliers de dollars de plus chacun pour leur formation est un drame terrible, d'après ce que disent leurs représentants.

Ce que proposent les recteurs d'université (la CREPUQ), c'est une hausse de 500$ par année pendant trois ans. Cela nous mènerait en 2014-2015 à des droits de 3680$ par année, encore une aubaine à l'échelle canadienne.

Verra-t-on une chute des inscriptions parce que le baccalauréat coûterait 4500$ de plus? On n'a pas observé ça dans le reste du Canada. Les recteurs proposent néanmoins que 25% de cette hausse aille directement dans l'aide aux étudiants - déjà la plus généreuse au pays.

L'État, déjà exsangue, continuerait à financer la très grande partie des dépenses liées à l'enseignement universitaire, ce qui est dans l'ordre des choses. Mais ceux qui en bénéficient le plus peuvent-ils faire une petite part sans brailler à l'injustice? Quoi, ils vont payer des impôts? J'espère bien qu'ils vont payer des impôts! C'est signe que leur formation leur a profité.

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Pour finir, on observe un autre problème au Québec - sauf à McGill: les dons aux universités sont à la traîne. Entreprises comme particuliers. Songez que McGill achève sa campagne de financement, qui aura rapporté l'an prochain 750 millions, estime-t-on. L'UdM en a amassé 210 millions il y a cinq ans. Elle est en retard de deux ans pour le lancement de sa nouvelle campagne. Heureusement, le nouveau recteur, Guy Breton, semble plus dégourdi que l'ancien. Le message se rendra peut-être mieux aux gens et aux entreprises qui se sont le plus enrichis grâce à l'université québécoise.

Il y a urgence, mais elle est invisible. C'est dans 20 ans qu'on s'en apercevra. On a déjà assez perdu de temps.