La parole de l'un contre celle de l'autre? Si on me donne le choix, je n'hésiterai pas longtemps.

J'ai connu Serge Ménard comme avocat criminaliste. Je l'ai vu présider les assemblées de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. J'ai parlé des dizaines de fois avec lui. Je le vois encore prendre position dans toutes sortes de dossiers qui ne font pas les manchettes et qui ne sont pas nécessairement populaires.

Et je pense savoir ceci à son sujet: ce n'est pas un menteur. C'est un homme de convictions. Il n'est pas allé en politique pour l'argent. Il en faisait trois fois plus comme avocat - il n'avait de cesse de le dire au début de sa carrière politique, ce qui avait l'heur de tomber joyeusement sur les rognons de ses collègues, comme s'il essayait de dire aux autres qu'il était tellement important vu les sacrifices consentis...

Et hier soir, en entendant cette entrevue à Radio-Canada, je le croyais sans réserve.

Il dit s'être fait offrir 10 000$ en espèces du maire Vaillancourt dans son bureau à la mairie, pendant la campagne pour l'élection partielle de 1993, où M. Ménard a été élu député péquiste de Vimont. Il décrit la réaction physique du maire quand il a refusé.

Quelles sont ses motivations à faire ces déclarations 17 ans après les faits? demande le maire Gilles Vaillancourt dans son communiqué d'hier soir, dans lequel il nie tout.

Bonne question. Serge Ménard dit que c'est simplement parce que le journaliste de la SRC le lui a demandé.

Possible vengeance politique, l'allégeance libérale de M. Vaillancourt étant bien connue? À ce qu'on sache, pendant les années péquistes, le maire de Laval s'entendait fort bien avec les hommes qui comptaient au gouvernement, les Landry et Chevrette notamment. C'est Lucien Bouchard qui a lancé le projet de métro de Laval. Les régimes ont passé à Québec. Gilles Vaillancourt est resté.

Quel serait l'intérêt de Serge Ménard d'aller se mettre la tête sur le billot face à un homme aussi puissant que Gilles Vaillancourt, et sans preuve documentaire? Serge Ménard connaît les conséquences de ses paroles. Il est avocat. Il ne s'exprimait pas dans l'enceinte du Parlement. Il ne jouit d'aucune immunité.

De son côté, Gilles Vaillancourt a été l'objet de nombreuses allégations de favoritisme politique au fil des ans, sans qu'aucun scandale ne lui colle à la peau, toutefois.

En entendant Serge Ménard, on pensait à cette histoire désormais légendaire du balayage électronique à l'hôtel de ville de Laval. La mairie avait embauché au début des années 90 la firme d'un ancien organisateur politique à raison d'environ 150 000$ par année pour «balayer» les locaux de l'hôtel de ville et du maire afin de détecter la possible présence de micros. Un cas «flagrant» de favoritisme, avait écrit un enquêteur de Québec. Mais la question qui se pose depuis que La Presse a révélé l'histoire demeure: qui a peur des micros à Laval au point de dépenser 3000$ par semaine pour en chercher?

S'il se passe des choses comme celle décrite par Serge Ménard, on a peut-être un début d'explication.

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Légalement parlant, ce que décrit Serge Ménard est une infraction à la loi électorale, pas au Code criminel. S'il s'agit d'un don dépassant les 3000$ permis, la personne qui les verse est passible d'une amende de 100$ à 25 000$. Sauf que 17 ans plus tard, cette infraction serait prescrite depuis longtemps et toute poursuite est donc exclue.

Si cette histoire est vraie, ce n'est pas à un problème juridique que fait face le maire de la troisième ville du Québec. C'est à un problème d'autorité morale. Son intégrité est directement attaquée par un homme au-dessus de tout soupçon.

Dieu sait qu'on a pu faire des reproches à Gérald Tremblay pour tout ce qui s'est passé de travers à la Ville de Montréal. Mais personne n'a prétendu qu'il avait participé au moindre acte douteux personnellement.

Cette fois, il s'agit du maire Vaillancourt lui-même qui tient une enveloppe de billets. D'où venait cet argent? Quel était son but? Gilles Vaillancourt nous dit que ça ne s'est tout simplement pas passé.

Malheureusement pour lui, l'accusateur est trop sérieux, le geste trop grave pour qu'on se contente d'un communiqué pour classer l'affaire.

Ai-je entendu le mot «enquête»?