À la fin, il n'y avait pas de sang sur le plancher. Ce fut un contre-interrogatoire tendu, comme il se doit, mais sans agressivité. Cette fois-ci, l'avocat de Marc Bellemare savait qu'il valait mieux ne pas trop en mettre. Jean Charest a cette faculté de faire le dos rond et d'envoyer mine de rien un petit coup de coude bien senti.

Où en sommes-nous, après le passage des principaux témoins? On pensera ce qu'on voudra de Jean Charest et de son gouvernement, si on analyse la preuve d'un point de vue juridique, les allégations de Marc Bellemare ne sont pas soutenues par la preuve.

Comme on l'a dit mille fois, c'est Jean Charest lui-même qui a délimité le champ d'intérêt de cette commission d'enquête: 1) les allégations de Marc Bellemare et 2) le processus de nomination des juges.

Les allégations de Marc Bellemare sont qu'il a subi des pressions indues et «colossales» de collecteurs de fonds libéraux pour faire nommer deux juges et en promouvoir un troisième. Et que Jean Charest lui a ordonné de céder à ces pressions.

Sauf ce que dit Marc Bellemare, un seul témoin le corrobore en partie: l'ex-sous-ministre associé Georges Lalande. Il n'a pas été témoin direct de pressions colossales, mais de pressions tout de même de Franco Fava. Il dit également avoir recueilli les confidences de Marc Bellemare en 2004.

Des deux collecteurs visés, l'un (Charles Rondeau) concède avoir mentionné un nom. L'autre (Franco Fava) nie totalement avoir jamais parlé de juges avec Marc Bellemare. Deux autres témoins, des anciens ministres, admettent avoir mentionné un nom chacun à Marc Bellemare - mais selon Me Bellemare lui-même, c'était courtois et pas indu.

Jean Charest, lui, nie en avoir jamais entendu parler. Il fournit une preuve documentaire contredisant l'existence d'une rencontre supposément capitale du 2 septembre 2003.

Jean Charest a placé Marc Bellemare dans la position de l'accusateur accusé en créant cette commission et il n'y avait sûrement pas d'urgence nationale pour la créer. Il n'empêche que ce matin, juridiquement parlant, on ne peut pas dire que les allégations de Marc Bellemare sont prouvées «selon la balance des probabilités».

En attendant les autres témoins, notamment la désormais célèbre Chantal Landry, responsable des nominations au bureau du premier ministre, il ressort tout de même quelques faits dérangeants.

La liste

Hier, Jean Charest a reconnu qu'il avait accès à la liste des candidats jugés «aptes» par les comités de sélection de la magistrature. Il a dit qu'il la recevait, avec la recommandation du ministre, et qu'il la renvoyait avec sa suggestion.

Nulle part au règlement cette procédure n'est-elle autorisée. On nous dira que de toute manière, c'est le gouvernement qui doit nommer le candidat choisi par le ministre à l'intérieur de la «courte liste». Pourquoi donc le chef du gouvernement ne la verrait-il pas?

Parce que ce n'est pas de ses affaires! Que M. Charest soit un fan de Perry Mason et connaisse l'importance des institutions judiciaires, on veut bien. Mais le processus est très clair: formation d'un comité de sélection composé d'un juge, d'un avocat nommé par le barreau et d'un représentant du public. Confection par ce comité d'une liste «courte» (comportant parfois près de 10 noms (!), mais parfois 3, ce n'est pas précisé). Remise de la liste au chef de cabinet du ministre. Choix final par le ministre. Enquête de sécurité. Décret du gouvernement. Il n'est pas question du premier ministre. M. Charest et son entourage ont fait une interprétation maison du règlement.

Il n'y a pas dans ce qu'a décrit Jean Charest de terrible scandale. Mais le premier ministre n'a pas à mettre son nez dans le processus. Il reçoit la suggestion du ministre et lui renvoie la sienne. Il dit cependant qu'il n'y a jamais eu de désaccord. Donc, il est toujours d'accord avec la suggestion du ministre. Remarquez bien qu'une suggestion du premier ministre à un ministre, ce n'est plus tout à fait une suggestion...

Avec un comité de sélection bien fait (plus large), une liste d'un ou deux noms et une décision du ministre, on éviterait tout ceci. Espérons que la commission ira dans ce sens-là.

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L'autre fait bien exposé par Charles Rondeau, c'est le système de favoritisme institutionnalisé. Ce collecteur allait voir Mme Landry des heures de temps chaque semaine pour l'aider à faire des nominations - pas celles des juges. Qu'un parti au pouvoir nomme des gens sympathiques à ses idées à la tête de certaines sociétés d'État pour leur donner une orientation particulière, il n'y a rien là de révoltant.

Mais entendre M. Rondeau nous dire qu'il n'était là qu'à titre d'homme d'affaires qui connaît beaucoup de monde à Québec, et est donc en mesure de trouver les candidats compétents ici et là, n'était pas très convaincant. On devine plutôt que le Parti libéral filtre les nominations au sein de l'État pour «placer son monde» grâce aux avis de ses généreux conseillers bénévoles. Même si les deux tiers des nominations ont été des renouvellements de gens nommés avant l'arrivée des libéraux.

Pour revenir aux juges, le fait que le juge Michel Simard ait lui-même appelé Charles Rondeau pour obtenir une promotion est dérangeant et montre qu'à ce niveau, il n'y a aucun système de sélection. Quand on sait qu'ensuite le juge Simard a siégé à de nombreux comités de sélection à titre de juge en chef adjoint, avec un représentant du public nommé par le ministre, on a un autre exemple d'apparence de politisation.

Les juges en chef, adjoints ou pas, devraient aussi passer par un processus neutre de sélection.

s Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert @lapresse.ca