On est loin du knock-out et, de toute évidence, le commissaire Bastarache n'est pas amateur de boxe.

Plusieurs fois, hier, le commissaire a signifié aux avocats du gouvernement et de Jean Charest qu'on était hors sujet. Les questions sur les états d'âme et les opinions de Marc Bellemare sur son propre comportement ne nous avancent pas tellement.

Il est légitime d'attaquer la crédibilité du témoin, de tester sa mémoire, de chercher à le contredire, de voir s'il est fiable. C'est ainsi que se joue le jeu à la cour, certes. Mais on n'est pas vraiment à la cour. On est devant l'opinion publique autant que devant une commission d'enquête. Une certaine retenue est de mise, surtout quand on n'a pas d'arme du crime à opposer au témoin.

Car au fond, sauf pour prouver que Me Bellemare se trompe sur certains détails, exagère ici et là, aime bien se vanter, ce sont d'autres témoins qui vont pouvoir le contredire sur l'essentiel: l'ingérence.

Il est un peu vain d'entrer dans des espèces de joutes morales avec un témoin. Avez-vous troqué votre responsabilité de procureur général pour faire avancer votre ordre du jour politique? demande l'avocate du gouvernement, Suzanne Côté. C'est ce qu'on appelle une question rhétorique... Que voulez-vous que le témoin réponde pour nous éclairer? Mea culpa?

André Ryan, avocat personnel de Jean Charest, a aussi tenté d'arracher une confession au témoin. Il lui a demandé si, au mois d'avril, il a donné le nom du donateur du Parti libéral lors de ses entrevues avec des journalistes qui sont à l'origine de la Commission. Me Bellemare a dit non. Pourtant, un article du Journal de Montréal paru dimanche, qui cite les notes que le journaliste a prises en avril, paraît montrer le contraire.

Mais si vous l'aviez fait, auriez-vous violé votre serment de confidentialité, Me Bellemare? Voilà bien une question hypothétique qui n'intéresse aucunement cette commission, a dit le juge Bastarache: le témoin nie l'avoir fait, point.

C'est alors que Me André Ryan a demandé au témoin s'il avait une objection à ce que les notes des journalistes soient produites en preuve pour voir s'il n'y aurait pas, dans les choses dites off the record, des violations de son serment.

Si l'avocat de Jean Charest tente de faire avaler cette couleuvre à la Commission, j'espère que les médias concernés refuseront de produire ces notes.

Le matériel journalistique est protégé constitutionnellement et les journalistes ne sont pas là pour fournir des munitions dans le procès civil entre Jean Charest et son ancien ministre. Au pire, Marc Bellemare a effectivement donné des noms, ce qui pourrait être une violation de son serment. Mais même si c'est le cas, ce qu'il aurait dit aux journalistes n'est pas différent de son témoignage devant la Commission.

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Cela dit, n'oublions pas qu'une bonne part du travail des avocats n'est pas immédiatement visible à l'oeil nu. On a bien fait préciser certains faits à Marc Bellemare (sur ses entretiens avec Jean Charest, ses rencontres, etc.) dans le but évident de fixer sa version... et de la faire contredire plus tard par d'autres témoins. Les coups peuvent être donnés à rebours et porter néanmoins. Il y a beaucoup de flou dans le déroulement des faits qui entourent les nominations que Marc Bellemare dit avoir été forcé de faire. Les dates, les demandes de vérification, les rencontres ne collent pas toutes avec l'idée qu'une sorte de rouleau compresseur le faisait procéder à ces nominations sous influence.

Et il reste toujours cet étonnement: pourquoi les organisateurs s'intéressaient-ils tellement à deux nominations et à une promotion... et se désintéressaient-ils totalement des autres, que Marc Bellemare a faites «librement», y compris celle du juge en chef?

En attendant d'être éclairé par d'autres, on se demande s'il y a encore quoi que ce soit d'utile à tirer de ce témoin, qui reste d'un calme assez désarmant.

On est tenté de dire: au suivant!