Il s'est passé deux choses, hier. On a vu les faits avancés par Marc Bellemare se recouvrir d'une petite couche de brume. Et on a vu en même temps se dessiner par petites touches le portrait du héros de la Commission.



On commence à voir comment cet avocat-vedette, fraîchement débarqué en politique en 2003, a réussi à se mettre à dos tout un ministère en quelques mois seulement et pourquoi personne n'a pleuré son départ.



Ça n'a pas grand-chose à voir avec la nomination des juges, direz-vous. Mais cela commence à nous informer sur la personnalité de Marc Bellemare.

Bien sûr, il y a ces dates qui semblent ne pas concorder avec la version de la semaine dernière. Il y a cette lettre où Marc Bellemare consulte Jean Charest au sujet du prochain juge en chef alors qu'il disait l'avoir surpris en nommant Guy Gagnon sans aucune ingérence de quiconque. Il y a ces vérifications de deux candidats qui précèdent celle de Marc Bisson, fils d'un organisateur de l'Outaouais. Obéissait-il à un ordre en le nommant ou l'a-t-il retenu après le rejet des deux autres? Mystère.

Mais il y a aussi cette histoire qui a causé une sorte de traumatisme au Ministère. Les journaux en avaient d'ailleurs parlé en 2003: le congédiement de Pierre Legendre. L'homme, très apprécié, était secrétaire du sous-ministre depuis 1989 et avait traversé diverses administrations, tant péquistes que libérales. Quand Marc Bellemare a appris qu'il était le frère du député péquiste Richard Legendre, il a convoqué le sous-ministre pour lui parler du problème. M. Legendre a été muté immédiatement.

Quel problème? Selon Marc Bellemare, Richard Legendre aurait appelé quelqu'un au Ministère pour lui dire de faire attention à son frère. Et c'est ainsi que le ministre a appris le lien de parenté de son employé.

Voilà qui sonne faux. Je vois mal Richard Legendre appeler au Ministère pour interpeller (même en blague) quelqu'un au sujet de son frère. Pierre Legendre était en poste bien avant que son petit frère ne fasse de la politique. Étrange histoire.

Et puis faut-il soupçonner tous ceux qui manipulent de l'information confidentielle parce qu'un membre de leur famille est d'un autre parti?

À l'époque, j'ai écrit un article où je racontais que Marc Bellemare était tellement difficile à supporter que le sous-ministre Michel Bouchard, homme respecté qui avait passé sous toutes les administrations, en était presque devenu malade: il avait perdu 12 kg et s'en allait finir sa carrière à Ottawa.

Hier, Me Bellemare a dit que Me Bouchard avait décidé depuis un bout de temps de partir pour Ottawa. Je suis curieux d'entendre la version du principal intéressé. Mais à l'époque, on disait que le ministre était un cowboy qui avait la grosse tête et qui intervenait partout.

Ah, bien entendu, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu d'ingérence. Ça veut dire qu'il y a rarement une seule version à ce genre d'histoire.

L'avocate du gouvernement, Suzanne Côté, veut faire ressortir ses côtés partisan et autoritaire. Au début du contre-interrogatoire, elle lui a demandé si, à titre de ministre de la Justice et de procureur général, il n'avait pas l'obligation de dénoncer les irrégularités quand il en était témoin (comme l'ingérence de Franco Fava).

Me Bellemare a dit qu'il ne comprenait pas la question. N'ayez crainte, elle reviendra, comme autant de coups de marteau sur le même clou: qu'avez-vous fait, vous, homme intègre et vertueux? Comment avez-vous pu renier votre serment sur ordre du premier ministre? N'était-ce pas là, en septembre 2003, qu'il fallait démissionner?

Je ne suis pas venu en politique pour nommer des juges, répète-t-il, comme s'il s'agissait d'une fonction quelconque. Non, lui voulait faire des réformes.

Irwin Cotler, ex-prof à l'Université McGill, qui a été ministre de la Justice à Ottawa, n'est pas non plus allé en politique pour «nommer des juges». Mais, comme il disait, c'est la chose la plus importante que puisse faire un ministre de la Justice. Ces hommes et ces femmes, s'ils sont nommés à 45 ans, vont dire le droit pendant les 25 prochaines années. Ce sont eux qui incarnent le système judiciaire, qui interprètent la Constitution. Il faut être un bien insignifiant ministre pour ne pas s'en soucier, ne pas lire les listes, recevoir des ordres. Surtout quand une de vos obsessions est... le processus de nomination des juges administratifs!

Les contre-interrogatoires ne font que commencer. Et le plus pénible reste à venir.