Les avocats sont rarement de bons témoins. Ils parlent trop, ils essaient de deviner les pièges même quand il n'y en a pas, ils esquivent en se donnant un air très malin, ils finassent.

Pas Marc Bellemare. Il l'a jouée très modeste, jusqu'à maintenant. Il s'en tient à des réponses pas trop longues. Il est calme. Il n'en rajoute pas. Il fait bien attention de souffler juste ce qu'il faut dans le ballon.

«Je n'ai jamais critiqué le système» de nomination des juges, a-t-il dit hier. C'est «un système correct qui fonctionne bien», pour lequel j'ai vécu «trois histoires, sans plus». Des «irrégularités de parcours», nous dit-il. Des irrégularités «avalisées par le premier ministre», a-t-il ajouté cependant.

D'un point de vue juridique, il n'y a rien de mortel là-dedans. D'un point de vue politique? D'un point de vue politique, Jean Charest étant agonisant, il ne peut pas mourir tellement plus. Je veux dire qu'il traîne une mauvaise odeur autour de son gouvernement depuis deux ans et que l'essentiel de ce que Marc Bellemare nous dit était déjà du domaine public depuis quatre mois. On verra comment évoluera cette commission, mais jusqu'ici, la version de Marc Bellemare n'apparaît pas farfelue. Sauf que, au printemps, quand la nouvelle est sortie, il était question de «trafic d'influence», ce qui est un crime.

Ce n'est pas de cela que parle Marc Bellemare. Il parle d'influence indue de la part de deux organisateurs et financiers libéraux et, surtout, du laisser-faire du premier ministre. Si les choses se sont passées comme le dit le témoin, c'est évidemment honteux pour le premier ministre et cela confirme le pouvoir exorbitant et occulte des financiers politiques.

Mais il faut faire la différence entre les faveurs pour services rendus et le trafic d'influence au sens criminel, qui consiste à acheter directement une charge ou un avantage.

Système «correct»?

Cela dit, comment croire que «le système est correct», comme dit Marc Bellemare, s'il permet 1) à un financier de connaître le nom des candidats retenus et 2) de faire jouer l'influence partisane pour piger dans une liste suffisamment longue?

Un système correct, un bon système, devrait empêcher cela tout le temps, sous tous les gouvernements.

Un système correct devrait limiter la marge de manoeuvre politique, précisément pour empêcher des organisateurs de mettre leur nez dans la sélection des magistrats. Il est donc un peu curieux d'entendre le principal intéressé nous expliquer avec quel sans-gêne on a pu contourner un système... «correct».

C'est une façon de nous dire, sans doute, que le vrai problème n'est pas là. Pas là où l'on a envoyé cette commission d'enquête. Sous-entendu: le vrai problème, plus large, c'est le poids du financement politique dans la prise des décisions gouvernementales en général.

Où ira-t-elle, cette commission, maintenant que l'accusateur principal a vidé l'essentiel de son sac? Plusieurs s'emploieront à le contredire, à miner sa crédibilité. Après, on fera venir Franco Fava et Jean Charest. On tentera de savoir qui ment dans cette histoire.

Mais après? Même à supposer que la Commission croie Marc Bellemare: il nous dit que, dans les autres nominations qu'il a faites, personne n'est intervenu. Va-t-on faire le tour de tous les ministres de la Justice pour leur demander si tout s'est bien passé depuis 10 ans? Va-t-on recenser chaque nomination depuis 2000? Évidemment pas. On aura vite fait le tour quand on en aura fini avec ces «irrégularités de parcours».

Jusqu'ici, aucun autre ministre, péquiste ou libéral, ne s'est vanté d'avoir recommandé des candidats en recevant des ordres... Restera ensuite à faire venir des experts pour examiner les différents modèles de nomination, et cette commission sera bouclée sans autre drame prévisible.

Ingérence?

Marc Bellemare n'y a fait qu'allusion parce que la Commission juge que ce n'est pas dans son mandat, mais il laisse entendre que Denis Roy, en 2003 conseiller au bureau de Jean Charest, lui aurait demandé d'intervenir dans une affaire criminelle. Me Roy, maintenant responsable de l'Aide juridique, a nié hier.

Il a cité un article que j'ai écrit après la conclusion de l'un des mégaprocès des Hells.

À l'époque, ce qu'on disait, au Ministère, c'était que le bureau du premier ministre suivait le dossier de près, mais que Marc Bellemare se mêlait de tout et tentait d'intervenir de manière inappropriée dans ce dossier. On lui a même reproché d'avoir failli faire avorter ce procès.

Son style a provoqué la démission du sous-ministre, qui avait vécu sous huit ministres des deux partis. Dans le dossier de la prostitution juvénile à Québec, en 2004, on a vu Marc Bellemare annoncer lui-même un appel. Bref, on avait rarement vu un procureur général s'ingérer aussi directement et ouvertement dans les affaires en cours. On a d'ailleurs par la suite séparé les procureurs de la Couronne du ministère de la Justice en créant la Direction des poursuites criminelles et pénales, histoire de dépolitiser très officiellement la fonction.

On ne sait pas à quel dossier précisément fait allusion Marc Bellemare.

Mais quand Denis Roy nous dit que la seule intervention qu'il a faite consistait plutôt à tempérer le nouveau et fougueux ministre, ça ressemble à ce qui se disait à l'époque.