Un an et demi, maintenant, que dure le drôle de lock-out au Journal de Montréal.

La semaine dernière, le syndicat a encaissé une défaite devant la Cour supérieure. Une autre. Sur à peu près tous les points importants, Quebecor empile les décisions favorables.

On ne peut pas dire que le vent judiciaire souffle du côté syndical.

Le droit du travail du siècle dernier s'applique mal à des entreprises en mutation comme les médias.

Et à lire en rafale les principales décisions dans les dossiers du Journal de Québec et du Journal de Montréal, on ne peut pas dire non plus que tribunaux aient fait preuve d'une grande créativité pour faire évoluer ce droit. Le conservatisme est à la mode du jour, question relations de travail.

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Le jugement de la semaine dernière, signé par la juge Anne-Marie Trahan, témoigne bien de l'air du temps. Il s'agissait de décider si des syndiqués et le syndicat du Journal de Montréal s'étaient rendus coupables d'outrage au tribunal, l'été dernier. Le 22 juillet 2009, un groupe de journalistes en lock-out a fait irruption dans le vestibule du journal de la rue Frontenac, et même dans la salle de rédaction. Ils ont bousculé des agents de sécurité pour se frayer un chemin. Ils ont fait du bruit, crié des slogans, joué du sifflet, et parlé de manière intimidante à un cadre pour savoir s'il était un «scab».

Tout cela contrevenait clairement à plusieurs ordonnances. Les syndiqués sont tenus à un piquetage ordonné et limité à certains endroits. Ils n'ont évidemment pas le droit de pénétrer dans le journal. La seule défense du syndicat consiste à dire que les syndiqués ne se sont pas fait signifier personnellement les ordonnances et que donc ils ne les «connaissaient» pas. C'est ce que plaidera le syndicat en appel, mais dans les faits, ils savaient très bien qu'ils violaient une ordonnance.

Ce qui est frappant dans le jugement est moins sa conclusion prévisible que le ton dramatique utilisé par la juge Trahan pour décrire l'incident de quelques minutes où personne n'a été blessé. «C'est le chahut, le capharnaüm. Pour un peu, il y aurait du grabuge.» Pour un peu, peut-être, mais il n'y en a pas eu. «Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il s'agit d'une forme d'intimidation», ajoute-t-elle. Intimidation, d'accord. Mais quoi d'autre ? Elle cite ensuite un cadre qui s'est senti «violé».

On est pourtant loin de Rambo. Je leur souhaite bonne chance pour la sentence, dans deux semaines...

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Le plus pénible, pour le syndicat, est qu'il n'arrive pas à faire appliquer les dispositions antiscabs du Code du travail. Quand un employeur décrète un lock-out, il ne peut embaucher des employés de remplacement. Seuls les cadres peuvent travailler.

Dans le cas d'un journal, les choses se compliquent du fait qu'il doit être ouvert à toutes sortes de sources : agences de presse, collaborations extérieures, courrier, etc.

La convention collective du Journal de Montréal énumère toutefois les sources extérieures qui peuvent être utilisées. L'agence QMI, créée peu de temps avant les lock-outs de Québec et Montréal, et qui fournit des textes d'autres organes de Quebecor en plus d'avoir maintenant ses journalistes, n'est pas du nombre. Le syndicat a donc attaqué l'utilisation de QMI comme une manoeuvre anti-briseurs de grève.

Le commissaire André Bussière a rejeté l'argument. Certes, la convention collective ne le prévoit pas. Mais alors, c'est un grief qu'il faut faire, pas une plainte à la Commission des relations de travail. Le syndicat s'est adressé à un arbitre... qui a dit que la convention collective ne s'applique pas pendant le lock-out ! Joli cul-de-sac.

En 2008, la commissaire Myriam Bédard avait donné raison au Journal de Québec, qui plaidait la même chose. Mais cette décision a été annulée en septembre 2009 par le juge Marc St-Pierre, de la Cour supérieure, comme «déraisonnable».

Les journalistes de l'agence créée pour remplacer les journalistes de Québec en lock-out ne travaillaient pas «dans l'établissement», mais à l'extérieur, observe ce juge. Or, les décisions classiques sur la disposition antiscab exigent que le travail se fasse sous le toit de l'entreprise. Des décisions d'il y a 25 ans, inapplicables à la réalité des médias. Mais qu'importe, tel est le droit, conclut-il. Donc, le Journal de Québec a agi en toute légalité.

Une des seules victoires du syndicat est celle concernant Sylvain Prevate, rendue au mois de mai, qui a été vu physiquement travaillant au Journal de Montréal. On se demande bien quelle différence avec un autre travaillant d'une agence maison qui enverrait son texte de chez lui - comme moi hier soir.

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Toutes ces décisions sont contestées en appel et ne trouveront pas de conclusion rapide, pas plus que ce conflit.

Jusqu'à preuve du contraire, toutefois, il n'y a pas que l'environnement technologique qui place le syndicat en position de faiblesse. Le droit du travail regarde encore les journaux comme un produit de l'ère industrielle, ce qui est aussi absurde qu'anachronique.

Les entreprises médiatiques et leurs employés doivent s'adapter à la révolution technologique. Mais peut-on en demander autant aux lois qui les gouvernent et à ceux qui les appliquent?