Je repense à cette histoire atroce de bébé tué par un chien et je me demande aussi: est-ce que ça aurait pu m'arriver?

Pas ça, pas comme ça - je ne laisserais jamais un bébé avec de gros chiens «qui n'ont jamais fait de mal à personne». Les deux qui m'ont mordu jusqu'à ce jour étaient décrits exactement dans ces termes-là par leur maître dans les secondes précédant la morsure.

Mais une négligence bête qui aurait pu tourner à la catastrophe, j'en ai encore en flash qui me reviennent, des années plus tard.

J'étais seul avec mon fils de deux ans et demi, un samedi. C'était l'heure de la sieste. Je le couche dans son lit sans barreaux. Je suis crevé, alors je me couche aussi. Je suis réveillé quelques minutes plus tard par la sonnerie de la porte. Une fille de 16 ans tient mon fils par la main. «C'est à vous?»

Il s'était levé sans bruit, avait ouvert la porte et était sorti «pour voir s'il y avait des oiseaux».

Ç'a l'air qu'il n'y en avait pas. Mais il aurait pu traverser la rue. Se faire heurter par une voiture. Aller je ne sais où. Je n'avais qu'à verrouiller la porte, à ne pas dormir. S'il avait fallu... Rien n'est arrivé, sauf une immense honte.

Une autre fois, je le détache, je le sors de la voiture, il est sur le trottoir pendant que je vais chercher son petit frère dans son siège de bébé verrouillé à triple tour. Pendant ce temps-là, il décide de traverser la rue en passant derrière la voiture. Une camionnette arrive, assez vite, et le conducteur le voit juste à temps. Je ne sais pas ce que j'ai crié, mais je revois ça au ralenti certains jours. J'aurais dû le détacher après le petit frère, le tenir, me garer de l'autre côté de la rue, etc.

Il n'est rien arrivé. Souvent, il n'arrive rien. On passe notre vie à faire plein de trucs pour éviter des choses qui n'arrivent pas, à vérifier, à répéter, à mettre des casques, à donner des conseils et des directives de prudence à n'en plus finir.

Puis un jour tu t'endors sur ton Guide des soins de l'enfant et, quand tu te réveilles... c'est une voisine qui te ramène ton fils.

La ligne entre le «bon citoyen» et l'accusé de négligence devant la cour criminelle est plus fine qu'on le croit.

Homicide et négligence

D'après ce qu'on connaît de l'histoire de Saint-Barnabé-Sud, la mère de 17 ans est allée sur la galerie fumer une cigarette avec sa mère et a laissé son bébé de 3 semaines seul avec deux huskies en liberté pendant «au plus» cinq minutes. Alertée par un bruit, elle est rentrée. Il était trop tard.

C'est certainement une mauvaise idée de laisser un nourrisson sans surveillance. C'en est une plus mauvaise encore de le laisser avec les chiens de son colocataire. C'est de la négligence. Mais est-ce criminel? Un «homicide involontaire» ?

On peut commettre un crime par omission, et même si on ne veut pas produire les conséquences, c'est vrai.

Si un geste ou une omission «démontre une insouciance déréglée ou téméraire à l'égard de la vie ou de la sécurité d'autrui», c'est de la négligence criminelle. Mais ce crime n'est pas toujours facile à prouver parce qu'il faut démontrer qu'il y a un «écart marqué» entre le comportement de l'accusé et ce qu'aurait fait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances.

Ça n'a l'air de rien, mais il s'agit d'un des recoins les plus obscurs du droit criminel. Depuis des années, les décisions byzantines des tribunaux s'empilent pour tenter de clarifier le concept.

La poursuite a choisi une accusation d'homicide involontaire. C'est un crime qui recouvre un très large spectre d'actes entraînant la mort, certains près du meurtre, d'autres près de l'accident. Même si la peine maximale est la prison à perpétuité, comme pour la négligence criminelle, c'est tout de même considéré symboliquement comme plus grave. Bizarrement, la preuve peut être un peu moins compliquée à faire: on cause un homicide involontaire en faisant un acte illégal qui entraîne la mort. Par exemple, braquer une arme à feu pour faire une blague.

Dans ce cas-ci, on reproche à la mère d'avoir manqué à ses devoirs de protection de la vie de son enfant - ce qui est en soi un crime punissable d'un maximum de cinq ans. On soutiendra que la mère a mal protégé son enfant. Comme il est mort, ça devient un homicide involontaire aux yeux de la poursuite.

Deux questions à ce sujet. Était-il dans l'intérêt public de détenir cette mère adolescente sous le choc et de la faire comparaître moins de 24 heures après ce drame? Je ne vois pas comment.

Deuxièmement, avant de porter une accusation criminelle, le procureur doit se demander s'il y a des perspectives raisonnables de condamnation. Là encore, ça me semble douteux. Une erreur sérieuse, même l'incompétence parentale, n'est pas forcément un crime. Et je vois mal un jury, avec les faits qu'on connaît, y compris le témoignage du père, venir condamner cette fille.

Et puis, pour la protection des enfants, la simple diffusion de cette horrible nouvelle accomplira plus que n'importe quelle condamnation.