Pour ce numéro spécial du cahier Vacances/Voyage, une dizaine de personnalités québécoises ont accepté de faire connaître le Québec qu'ils aiment. Ces lieux, habités de souvenirs, qui sont pour eux porteurs de sens et qu'ils vous feront découvrir dans les pages qui suivent. En guise d'introduction à ce voyage, le chroniqueur Yves Boisvert trace le portrait de son propre coin de pays. Bonne lecture.

Ce que j'aime de mon fromager, c'est qu'il me fait faire un tour dans l'arrière-pays. Quand il a fini son baratin, je sors de l'échoppe sans savoir si j'ai acheté du chèvre ou du paysage.

 

Un matin qu'on parlait des Îles-de-la-Madeleine et du Pied-de-Vent, Max Dubois m'a tendu mieux encore qu'un fromage: un vieux livre de Marie-Victorin, Croquis laurentiens. Des esquisses littéraires du Québec par quelqu'un qui l'a marché et ausculté. Récits de voyages de Beloeil à Havre-aux-Maisons, considérations géographiques, essais poétiques... Cela ne ressemble à rien, sinon peut-être à du Jean O'Neil.

«Le vieux Longueuil s'en va, comme le vieux Montréal, comme le vieux Partout», écrit-il... en 1919. Il n'y avait ni pont Jacques-Cartier, ni boulevard Taschereau, mais déjà il déplorait que «les autos grondent au fond des garages et Longueuil pue l'essence très comme il faut!» Et puis, ces «quelques rues anciennes qui serpentaient encore se redressent et s'élargissent».

Quand je cours sur le chemin du bord du fleuve, qui s'appelle maintenant Marie-Victorin, et qui est coincé en contrebas d'une autoroute, j'ai une pensée pour le grand botaniste, qui n'avait rien vu encore.

Il avait vu le temps passer, du moins.

Il reste quelques rues étroites dans le vieux Longueuil et des hérons dans les battures, encore postés aux mêmes endroits qu'il y a 100 ans. Pour le reste, le progrès s'est chargé de transformer la Rive-Sud peut-être encore plus que Montréal dans le dernier demi-siècle.

Cela nous vaut le boulevard, bien sûr, mais aussi un poissonnier des Îles-de-la-Madeleine, sur le chemin de Saint-Jean (le Poisson volant), des marchés chinois, arabe, entre deux grandes surfaces... Le progrès a aussi bon goût.

Faire un croquis de son pays, c'est tenter de le fixer. Mais le dessin n'est pas achevé que déjà le pays a bougé. Parler de son pays, c'est toujours parler du temps qui passe.

Et puis, parler du pays qu'on aime, c'est parler des gens qu'on a aimés. Quand ma mère me dit que le ciel est plus bleu en Abitibi, elle ne me parle pas de géographie, elle me parle de son enfance, elle me parle d'amour.

Quand je repense à nos voyages d'enfance au pays de mes parents, je vois bien des épinettes décharnées, des lacs de sable, des villes aux rues immensément larges. Mais ça ne veut rien dire s'il n'y a pas mes oncles et mes tantes, mes cousins, mes cousines. L'Abitibi que j'aime, ce n'est pas tant l'Abitibi, c'est l'humour de mon oncle, c'est la limonade de ma tante. C'est les gens qui habitent mon enfance.

Le Québec que j'aime, à la fin, ce n'est pas un coucher de soleil à Rivière-Ouelle, ce n'est pas de descendre les dunes à Tadoussac, ce n'est pas un banc de parc à Québec, le sous-sol chez des amis, un défilé à Montréal. C'est d'y être allé avec des gens que j'aime, d'avoir senti un instant la fragilité du moment et de pouvoir dire: je m'en souviens. T'en souviens-tu?