Il n'y a aucune grande surprise dans la nomination d'une troisième femme à la Cour suprême des États-Unis. Elena Kagan est une candidate formidablement qualifiée et depuis longtemps désignée comme telle.

Ancienne doyenne de la faculté de droit la plus célèbre des États-Unis (Harvard) et avocate principale du gouvernement fédéral devant la Cour suprême, ce qui la distingue est moins son sexe que le fait qu'elle n'ait jamais siégé. C'est la première fois depuis près de 40 ans qu'on nomme directement une avocate à la Cour suprême américaine.

Ce n'est évidemment pas un préalable. Au Canada, le seul juge encore en fonction à être passé directement de la pratique à la Cour suprême est le juge Ian Binnie, un des leaders intellectuels de la Cour.

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À peu de chose près, la question de l'accession des femmes à la magistrature est une affaire réglée au Canada. Le fossé s'est rétréci considérablement. Depuis l'arrivée des conservateurs au pouvoir, en 2006, 18 femmes et 22 hommes ont été nommés à la Cour supérieure du Québec. La Cour d'appel, elle, reste cependant largement dominée par les hommes puisque seulement cinq juges sur 20 sont des femmes.

Mais la parité s'installe tranquillement et, à voir la supériorité numérique des femmes dans les facultés de droit, ce n'est qu'une question de temps avant qu'elle soit accomplie.

Pour la deuxième fois, c'est une femme, Élizabeth Corte, qui est juge en chef de la Cour du Québec. Lyse Lemieux a été la première juge en chef de la Cour supérieure. Et depuis 10 ans, Beverley McLachlin est juge en chef de la Cour suprême.

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Ce qui est peut-être plus intéressant est l'autre fossé, idéologique celui-là. La position qu'a prise la juge Kagan en matière de droits des homosexuels dans l'armée américaine sera un très évident sujet de débat. Les homosexuels déclarés sont bannis de l'armée des États-Unis, une règle qui serait sans aucun doute jugée inconstitutionnelle au Canada. Et avec le débat autour du mariage gai aux États-Unis, on peut s'attendre à ce que ce genre de dossier occupe les tribunaux américains et soit un nouveau champ de bataille social et judiciaire.

Quand elle était doyenne à Harvard, elle avait interdit l'accès du campus aux recruteurs de l'armée, pour cause de discrimination.

Comme le processus de nomination américain exige un vote du Sénat, attendons-nous à ce que les républicains s'opposent à cette nomination, malgré la compétence évidente de la juge Kagan.

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C'est ici qu'on voit à quel point le pouvoir judiciaire américain est devenu un champ de bataille idéologique. La juge Kagan remplace le plus «libéral» des juges de la Cour, John Paul Stevens, âgé de 90 ans. Ce juge «de gauche» a pourtant été nommé par un président républicain, Gerald Ford, en 1975. Il n'y a eu aucun tumulte autour de la nomination de ce républicain modéré.

Trente-cinq ans plus tard, chaque nomination se transforme en débat acrimonieux au Sénat sur les opinions du candidat. En ce moment, Obama a nommé deux juges qui remplaçaient des juges «libéraux» - l'autre étant Sonia Sotomayor. Le délicat équilibre des forces est donc intact.

La Cour suprême américaine se déchire de manière brutale sur les grands sujets, que ce soit les prisonniers de guerre américains, la peine de mort, le droit de porter une arme ou l'avortement.

À côté de cela, on a beau critiquer le gouvernement Harper pour certaines de ses nominations, on aurait grand peine à y déceler un plan idéologique quelconque. Les conservateurs, pourtant très critiques des décisions de la Cour suprême canadienne, ont nommé deux juges à ce jour : le premier, Marshall Rothstein, avait été sélectionné sous le gouvernement de Paul Martin et n'a soulevé aucune controverse - sauf pour être le seul juge unilingue de la Cour. Le second, Thomas Cromwell, fait consensus et aurait aussi bien pu être nommé par les libéraux.

Malgré le pouvoir considérable de notre Cour suprême, les conservateurs ont donc poursuivi une tradition de nominations sans parti pris idéologique marqué. Jean Chrétien avait nommé des juges tant à l'aile plus progressiste qu'à l'aile conservatrice de la Cour. Mais même quand elle se divise, notre Cour suprême le fait dans une incroyable sérénité si on la compare aux guerres de tranchées judiciaires américaines.