Sur les planètes découvertes jusqu'à présent, on n'a trouvé encore aucun système idéal de nomination des êtres humains au poste de juge.

Le modèle français, selon lequel les juges viennent d'écoles de magistrats, n'est pas transférable ici. Il n'est pas sans problème politique non plus.

Les Américains ont différents modèles, dont des juges élus, qui font campagne et qui collectent des fonds. Passons! Ils ont aussi des processus de confirmation politique des juges fédéraux, inscrits dans leur Constitution autant que dans leurs gènes politiques.

C'est plutôt au Royaume-Uni qu'il faut chercher un modèle qui s'adapte à notre tradition constitutionnelle. Ça tombe bien, les Anglais viennent de réformer complètement leur processus de nomination.

Au fond, il n'y a pas grand-chose à changer au système de nomination des juges québécois pour le dépolitiser. On n'a même pas besoin d'une commission d'enquête pour les trouver.

Ça peut tenir en un paragraphe. Premièrement, créer un comité de sélection apolitique. Deuxièmement, forcer le ministre à nommer le candidat choisi ou, à tout le moins, choisir dans une très, très courte liste - deux ou trois noms.

Pas plus compliqué que ça. Et je donne ça gratis à la commission Bastarache.

Actuellement, pour les postes de juge à la Cour du Québec, le comité de sélection est formé d'un juge désigné par le juge en chef, d'un avocat désigné par le Barreau et d'un «représentant du public» désigné par le ministre. Ce dernier n'est ni juge ni avocat, ce qui est une bonne idée. Laisser la nomination des juges aux juges eux-mêmes créerait d'autres sortes de problèmes, comme la formation de clubs de copains qui se cooptent entre eux. On ne serait pas plus avancé.

Mais cette «personne du public» a généralement des accointances politiques. Elle peut tenter de pousser certains candidats sur la liste pour l'allonger indûment.

Or, cette liste est d'une longueur variable, puisque le règlement demande seulement au comité d'indiquer les noms des candidats «qu'il estime aptes à être nommés juges», plus certains commentaires. D'où cet espace d'arbitraire politique quand le ministre choisit le candidat parmi cette liste. Le ministre peut refuser la liste, mais il doit alors faire un nouveau concours - c'est arrivé une seule fois depuis 2003, pour un concours à Baie-Comeau, en 2009.

En gros, le système de nomination, dans son état actuel, élimine les incompétents, mais pas l'influence politique. Non pas qu'on nomme nécessairement des gens ayant fait de la politique. Mais il y a toujours un parrain quelque part pour faire nommer même les apolitiques.

S'il est si simple de changer le système, pourquoi ne le fait-on pas? Parce que les organes qui détiennent un pouvoir ne s'en défont jamais volontairement. Les libéraux se disent que c'est leur tour, les péquistes pensent la même chose quand ils sont au pouvoir. Mais tous vous diront néanmoins que le système est absolument neutre politiquement et basé uniquement sur le mérite. Ce n'est pas vrai.

Il est vrai que la nomination s'est dépolitisée au fil des ans, au fédéral comme au Québec. Le Québec a créé ses comités de sélection en 1981. Ottawa en 1988. Ceux du Québec ont l'avantage d'être formés chaque fois qu'un poste s'ouvre et de faire des entrevues. Le comité fédéral dresse simplement une longue liste de dizaines de noms de gens qui sont jugés aptes. Les noms demeurent deux ans sur la liste.

Le processus québécois est jugé meilleur que celui du fédéral, mais il a des faiblesses similaires.

Le professeur Troy Riddell, de l'Université Guelph, avec deux autres collaborateurs (1), a étudié les 856 nominations faites sous Brian Mulroney et Jean Chrétien entre 1988 et 2003. Il conclut que «les connexions politiques jouent un rôle important dans la sélection des juges», mais pas autant qu'avant 1988.

Ce système de tamisage semble avoir éliminé la nomination partisane de candidats «complètement non qualifiés». On peut en dire autant du Québec.

C'est déjà ça! Mais pourquoi s'arrêter à mi-chemin?

En 2004, le Barreau du Québec a ouvert son congrès sur ce sujet. Il en est ressorti que le système devait être réformé. Même le juge en chef de la Cour d'appel, Michel Robert, a dit que le processus manquait de transparence et de crédibilité.

Un juge anglais participant au débat s'est montré estomaqué de voir qu'on discute d'un problème de nominations politiques. Comment faites-vous? lui ai-je demandé. «On nomme les meilleurs, c'est tout!»

Les Anglais avaient jusqu'à récemment un système encore plus opaque, où des consultations secrètes entre initiés aboutissaient à des nominations certes de haute qualité, mais à peu près toutes issues des mêmes cercles d'Oxford et de Cambridge.

Tout cela est révolu. Dans ce pays pourtant traditionaliste jusqu'à la moelle, on a enlevé toute discrétion au ministre de la Justice (le Lord Chancelor) pour la nomination des juges. Une tradition de 900 ans venait de prendre fin!

Une Commission des nominations judiciaires a été mise sur pied, présidée par un juge. Y siègent des avocats, des personnes du public et divers professionnels qui sont en tout 15. Pas moins de 100 personnes travaillent à cette commission - on nomme de 500 à 700 personnes à toutes sortes de juridictions chaque année.

Depuis 2006, la commission appelle des candidatures. Les candidats envoient un CV, une lettre d'intention, six lettres de recommandation. Et la commission fait ses consultations auprès d'une liste de personnes dont le nom est publié. Les candidats les plus méritants sont interviewés.

Fini, donc, le temps où ces choses-là se chuchotaient dans un country club...

Le Lord Chancelor doit entériner les choix de la commission - il ne choisit même pas dans une liste. Exceptionnellement, il peut en refuser une, mais doit s'expliquer par écrit.

L'idée est autant de dépolitiser complètement le processus que d'ouvrir la magistrature à plus de diversité ethnique et sociale. Il n'est pas interdit d'avoir fait de la politique ou d'avoir un beau-frère membre du parti... mais assurément, ce n'est pas un préalable. Les critères de sélection sont énumérés et ça n'en fait pas partie!

Ah, bien sûr, on se plaindra et on se plaint sûrement de telle ou telle nomination, plus probablement des non-nominations. Mais qui dira que ce n'est pas une amélioration?

Un modèle qui devrait nous inspirer en attendant des nouvelles de sondes spatiales à la recherche d'un modèle idéal dans quelque système solaire.

Note(s) :

1. «Exploring the Links Between Party and Appointment: Canadian Federal Judicial Appointments From 1989 to 2003», à paraître dans le Journal canadien de science politique