Non seulement l'argent n'est plus «l'instrument du démon», c'est maintenant une vertu.

Quand le Parti québécois fait de la création de richesse un mot d'ordre, c'est que quelque chose s'est transformé dans la psyché québécoise.

C'est pourtant la patrie qui a fait la fortune de Séraphin Poudrier, le plus fameux méchant de la culture populaire québécoise. Issu d'un roman populaire de 1933, devenu série radiophonique de 1939 à 1962, télésérie de 1956 à 1970, sans parler d'une bande dessinée qui a duré 20 ans, de trois longs métrages en comptant celui de 2002 et d'un village touristique qui a longtemps fait courir les foules dans les Laurentides...

 

Au départ, le titre du roman de Claude-Henri Grignon annonce assez clairement le propos: Un homme et son péché. La fable, très bien tournée, comporte une morale sans équivoque. L'avare tarde à faire soigner sa femme pour éviter des frais médicaux. Elle meurt. Et quand sa maison prend feu, il court y chercher son or et meurt, comme de raison. La morale est sauve, le pécheur périt par où il a péché.

Avis soit donné à tous.

Il y a un personnage d'avare dans toutes les cultures nationales - Scrooge, Shylock ou Harpagon -, mais aussi gros, aussi dominant?

Longtemps, dans le Québec catholique, on a enseigné la méfiance de la richesse et de ceux qui la possédaient. Les capitalistes «canadiens français» se comptaient sur les doigts de quelques mains. Les malheureux riches, comme vous savez, auront plus de peine à entrer dans le royaume des cieux que les chameaux à passer dans le chas d'une aiguille.

Mais l'auteur lui-même, plus tard, a pris la défense de l'avare. Ne le voyons pas seulement comme un usurier sans coeur. En prêtant, il permet la croissance économique de son village, après tout... Et si son vice privé avait une vertu publique?

Une fois Séraphin mort et son or fondu, qui donc fera crédit? Ce qu'il faut, ce n'est pas la mort de Séraphin, mais des concurrents. Donc, plus de Séraphin!

Au fait, tant d'argent entre des mains mieux intentionnées... Ça fait rêver. Ça donne le goût! Une chance que Séraphin est détestable à tous points de vue, sinon on l'envierait peut-être...

Le credo de la création de richesse veut que l'intérêt général soit servi par le désir d'accumulation individuel. À certaines conditions, la cupidité des uns profite à tous les autres, ainsi va notre morale.

Ainsi sont nées plusieurs grandes fortunes québécoises. Mais aussi quelques Vincent Lacroix. Le crime financier, n'est-ce pas le crime du nouveau siècle? Crime de cupidité, d'accumulation, mais, contrairement à Séraphin, accompagné de dépenses orgiaques : n'étant plus péché, l'argent peut se montrer sans complexe. Ces accumulateurs-fraudeurs ne s'intéressent pas à l'emprunteur pris à la gorge. Ils attirent ceux qui veulent faire profiter leur argent en leur en promettant un peu trop. Ils n'exploitent plus la misère et la crainte de l'argent. Ils vivent de la cupidité ordinaire pour se créer de la richesse...