Le ministre de la Justice est «heureux» de la décision de la Cour suprême. Comment ça, «heureux»?

Il devrait peut-être relire attentivement la conclusion du jugement Khadr.

La plus haute instance judiciaire canadienne vient de dire à l'unanimité que le gouvernement a bafoué ses engagements internationaux et violé les droits fondamentaux d'un citoyen.

C'est un blâme très sévère. Il n'y a pas de quoi se péter les bretelles judiciaires et se réjouir comme l'a fait Rob Nicholson hier.

Ce gouvernement devrait plutôt avoir honte.

Bien sûr, la Cour suprême n'ordonne pas au premier ministre de réclamer le rapatriement d'Omar Khadr, détenu depuis huit ans à Guantánamo. Mais il lui dit en d'autres mots qu'il doit réparer cette violation de ses droits.

Il y a depuis toujours une réticence extrême des tribunaux à s'immiscer dans les décisions de l'exécutif en matière de relations étrangères. Le gouvernement conserve un pouvoir discrétionnaire sur la manière de traiter avec les États étrangers, domaine délicat où les politiques ont une expertise et une position privilégiée.

Mais la Cour suprême rappelle que ce pouvoir doit s'exercer conformément à la Constitution. La Cour se reconnaît donc de nouveau le droit de «donner des directivesspécifiques» sur des questions touchant aux affaires étrangères.

On pourrait même prétendre que la Cour donne au gouvernement Harper une dernière chance de réparer lui-même la situation.

«La solution à la fois prudente pour l'instant et respectueuse des responsabilités de l'exécutif et des tribunaux» consiste à déclarer qu'il y a eu violation des droits, mais à ne pas ordonner de marche à suivre précise au gouvernement Harper, écrit la Cour.

D'abord, Khadr est entre les mains des autorités américaines. Donc, une demande canadienne ne changerait peut-être rien. Ensuite, il est impossible pour la Cour d'évaluer la conséquence d'une telle ordonnance sur les relations canado-américaines.

Alors, «pour l'instant», elle ne le fait pas... Ce qui veut dire que ce pourrait être partie remise.

En effet, en déclarant cette très sérieuse violation des droits de Khadr, la Cour entend fournir au gouvernement «le cadre juridique» pour la suite des choses.

On pourrait traduire cela ainsi: veuillez donc vous conformer aux principes de justice élémentaires. Sinon...

Les violations reprochées au gouvernement canadien découlent du fait que des agents du Service canadien du renseignement de sécurité ont interrogé Khadr à Guantánamo tout de suite après des séances de privation de sommeil. C'est en soi un traitement inhumain qui rendrait irrecevables des confessions ainsi obtenues devant nos tribunaux.

Ensuite, Khadr n'avait pu consulter ni avocat, ni adulte de confiance. Et il était mineur. Enfin, les renseignements recueillis par le SCRS ont été remis aux autorités américaines. La Cour ajoute que, à l'époque, le gouvernement américain violait sa propre Constitution en ne reconnaissant pas le droit des détenus à faire vérifier la légalité de leur détention par les tribunaux américains. La Cour suprême des États-Unis y a remédié.

Ce qui fait dire à la Cour suprême du Canada que, au total, le Canada a participé «activement» à la violation des droits de Khadr.

Bien sûr, c'est une demi-victoire pour le gouvernement Harper parce qu'on ne lui ordonne plus rien.

Mais il faut voir les raisons de cette prudence. Si la séparation des pouvoirs veut dire quelque chose, les juges sont en effet assez mal placés pour jouer les ministres des Affaires étrangères, dans les dossiers sympathiques comme dans les autres. C'est donc un jugement bien mesuré, équilibré.

Si on le lit correctement, il ne mène qu'à une conclusion logique: le gouvernement Harper doit demander le rapatriement d'Omar Khadr.

Ce n'est plus un ordre de la Cour. C'est tout de même la justice la plus élémentaire.

Stephen Harper en aura-t-il enfin dans cette affaire?

Pour joindre notre chroniqueur: yves.boisvert@lapresse.ca