Si vous allez acheter du pétrole en Iran et que votre contrat n'est pas respecté, vous avez le droit de poursuivre la république iranienne au Canada. Mais si vous êtes arrêté injustement et torturé en Iran, vous n'avez aucun recours.

Il existe en effet une Loi sur l'immunité des États. En vertu de cette loi, il est interdit de poursuivre au civil les pays étrangers au Canada. À une exception près: les relations commerciales.

C'est ainsi que, depuis la semaine dernière, on peut voir au palais de justice de Montréal les avocats du gouvernement canadien se ranger du côté des avocats de l'Iran pour faire rejeter la poursuite de Stephan Hashemi. M. Hashemi est le fils de Zahra Kazemi, torturée à mort dans une prison iranienne en 2006.

Rien de plus «normal», vous dira-t-on: les États se donnent entre eux l'immunité. Si on permet les poursuites contre les autres pays au Canada, il se peut très bien que les citoyens des autres pays poursuivent le Canada à l'étranger. Avec les coûts et problèmes qu'on imagine, ce qui rendrait éventuellement ingérables les relations diplomatiques. Surtout que le respect de la règle de droit et l'indépendance des tribunaux sont des denrées rares sur cette planète.

Mais alors, pourquoi permettre les poursuites quand il s'agit d'affaires commerciales? Il n'y a pas d'autre raison que la commodité... et la préservation des bonnes relations entre pays.

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Les avocats de M. Hashemi plaident que la loi actuelle est inconstitutionnelle. Les engagements internationaux du Canada pour lutter contre la torture devraient l'obliger à lever l'immunité des États tortionnaires, disent-ils.

Le juge Robert Mongeon, de la Cour supérieure, devra décider si la loi, dans sa forme actuelle, viole la Charte canadienne des droits et libertés, et éventuellement permettre cette poursuite.

Mais le député libéral Irwin Cotler, qui fut longtemps professeur et défenseur des droits de la personne dans plusieurs causes internationales, n'attend pas le résultat de ce procès.

Après tout, les derniers à avoir tenté leur chance ont tous échoué.

Maher Arar, qui a obtenu 10 millions du gouvernement canadien pour avoir été cédé aux autorités syriennes, a aussi poursuivi le gouvernement syrien pour avoir été torturé pendant un an. Sa poursuite a été rejetée en Ontario.

Même chose pour Houshang Bouzari, arrêté, jeté en prison et torturé pendant huit mois lors d'un voyage d'affaires en 1993. On lui a opposé l'immunité, et sa poursuite contre Téhéran a été rejetée en Ontario. Il a plaidé l'exception commerciale de la loi. La Cour lui a répondu que si le but de son voyage était commercial, les actes de torture iraniens, eux, n'étaient pas une activité commerciale. Donc, l'exception ne s'appliquait pas.

Une cause qui illustre à elle seule l'absurdité du régime d'immunité.

L'an dernier, deux avocats montréalais ont tenté de poursuivre Israël. Robert Teitelbaum et Solomon Katz se plaignaient du fait que le déménagement du consulat israélien sur leur étage au Westmount Square les soumettait au risque d'être victimes d'attentats. Ils réclamaient qu'on paie pour améliorer leur sécurité. La Cour supérieure a rejeté la poursuite pour cause d'immunité des États.

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Irwin Cotler, donc, veut que la loi soit modifiée pour rendre l'immunité moins large. Des citoyens pourraient poursuivre un État étranger au Canada s'ils ont été victimes de crime de guerre, de crime contre l'humanité, d'acte de génocide ou de torture.

Ces recours ne seraient permis que si la personne a épuisé tous ses recours dans le pays concerné. Un pensionnaire canadien de Guantánamo, par exemple, devrait poursuivre aux États-Unis.

Dans certains pays, déjà, on permet ce genre de poursuites. Elles ne sont au fond que l'extension civile des poursuites criminelles, déjà permises, contre des ressortissants étrangers pour des crimes de guerre ou contre l'humanité à l'étranger.

Qui aurait pensé, il y a seulement 15 ans, qu'on ferait condamner un génocidaire au Canada? Désiré Munyaneza a pourtant été condamné à l'emprisonnement à perpétuité, cet automne à Montréal, pour sa participation au génocide rwandais. Ce qu'on fait au criminel, on devrait pouvoir le faire au civil.

Le droit évolue dans le sens de la lutte contre l'impunité. Au Canada, Irwin Cotler est un de ceux qui y ont le plus contribué. Il a obtenu l'appui de députés des trois autres partis pour son projet de loi (C-483).

«En ce moment, la loi canadienne préfère les pays tortionnaires aux victimes de torture», dit Cotler.

Il a parfaitement raison.

Après l'affaire des transferts de prisonniers afghans, quelle belle occasion pour le gouvernement Harper de montrer qu'il prend la lutte contre la torture au sérieux...