À quoi a droit une personne injustement accusée d'un crime? Généralement, pas grand-chose.La semaine dernière, j'ai parlé dans cette page de l'histoire de M. Henry Fournier, un prof d'éducation physique dans une école primaire près de Montréal accusé à tort de 19 agressions sexuelles sur des élèves de son école.

La juge Odette Perron l'a acquitté sur toute la ligne, estimant que les témoignages des fillettes étaient invraisemblables. L'affaire a toutes les allures d'une sorte d'enflure déclenchée par une ou des leaders, sinon carrément d'un coup monté.

M. Fournier a été suspendu avec solde quand il a été soupçonné, le temps que la police enquête. L'enquête a duré... une semaine. Dès le dépôt des accusations, en février 2008, on a cessé de lui verser son salaire. Il n'a été acquitté que le 29 octobre 2009. Donc près de deux ans sans salaire.

Il devra tenter de récupérer son salaire avec l'aide de son syndicat. Mais rien dans la convention collective ne prévoit le remboursement des honoraires d'avocat après un acquittement.

A-t-il droit à une quelconque compensation pour les torts à sa réputation et les souffrances subies depuis le dépôt des accusations? Il lui faudrait poursuivre la police et l'avocate de la Couronne. À la lumière de ce que vient de dire la Cour suprême, il n'aurait pas de chances dans une éventuelle poursuite contre l'avocate de la poursuite.Le 6 novembre, la Cour suprême a rejeté une poursuite d'une douzaine d'adultes poursuivis injustement en Saskatchewan dans une fausse affaire de secte satanique.

En 1991, trois enfants placés en foyer d'accueil ont convaincu un policier qu'ils étaient victimes d'agressions sexuelles de leurs parents d'accueil, de leurs parents biologiques et d'autres adultes.

Ces enfants disaient avoir assisté à des démembrements de bébés, avoir bu du sang humain, assisté à des sacrifices d'animaux, mangé des globes oculaires et autres supposés rites sataniques.

Pendant l'enquête préliminaire, l'avocat de la Couronne s'est mis à avoir des doutes en écoutant le témoignage des enfants. Il ne les avait pas rencontrés et n'avait pas non plus visionné la vidéo avant le dépôt des accusations (en Saskatchewan, c'est du ressort de la police). Ses supérieurs lui ont dit de continuer.

Les parents d'accueil et un ami ont subi un procès et ont été déclarés coupables. La juge a donc cru les enfants. Elle a toutefois dit qu'il ne faudrait pas que ces enfants subissent de nouveau le traumatisme d'un procès, et on a stoppé les procédures contre les autres, sauf un qui s'est reconnu coupable.

La Cour d'appel de la Saskatchewan a cependant confirmé la condamnation des trois adultes. La Cour suprême a ordonné un nouveau procès en 1995, mais finalement, la Couronne a décrété d'elle-même un arrêt des procédures.

Puis, quand tout a été fini, les enfants ont avoué qu'ils avaient inventé toute cette histoire morbide qui avait fait le tour de l'Amérique du Nord.

Oups...

Les accusés ont poursuivi le corps de police et le procureur général de la Saskatchewan. Après un jugement donnant raison aux accusés, la province a accepté de verser des compensations et de rédiger des déclarations officielles d'innocence pour chacun d'eux.

Les procédures ont toutefois continué, certains accusés tentant d'obtenir une compensation supplémentaire. Ils ont eu gain de cause en Cour d'appel, mais la Cour suprême, unanimement, vient de leur donner tort: il n'y a pas de preuve de «malveillance» de la Couronne.

La Cour suprême, qui avait semblé assouplir ses critères en accordant un dédommagement de 2 millions à l'ex-journaliste Benoît Proulx, en 2001, nous dit que les règles sont toujours aussi strictes. Pour obtenir un dédommagement pour poursuite abusive, il faut démontrer un détournement malhonnête du système judiciaire par la poursuite. L'incompétence de l'avocat de la poursuite, même sa négligence grave ne suffisent pas.

On aura du succès plus aisément contre les corps de police, en démontrant que les enquêteurs n'ont pas respecté les règles de l'art - quoique, encore là, rien n'est facile.

Mais la Couronne jouit d'une immunité relative - elle était même absolue autrefois. On veut éviter de contraindre la Couronne à une prudence excessive dans le dépôt d'accusations criminelles.

La juge Louise Charron, qui rédige la décision de la Cour suprême, note que quand les accusations ont été déposées en 1991, le Code criminel venait d'être changé. Jusqu'en 1988, avant de déposer une accusation sur la foi du témoignage d'un enfant, il fallait une «corroboration». Cette exigence a été abandonnée: les mentalités ont évolué et on fait davantage confiance aux enfants dans le système judiciaire. Certains ont cependant poussé ce respect jusqu'à affirmer qu'un enfant «ne ment jamais» à propos d'agressions sexuelles, observe la juge Charron. C'est dans ce contexte qu'on a accusé sans discernement ces gens de la Saskatchewan.

On pourra se consoler en se disant que ces gens ont tout de même eu une compensation. Mais si un juge ne leur avait pas donné raison, la province n'aurait sans doute pas négocié avec eux.

Si ce juge avait suivi la logique classique de la Cour suprême, ces personnes accusées injustement n'auraient probablement pas reçu un sou.

Aussi louables soient ces principes, on est assez clairement en déficit d'un mécanisme autonome de compensation des erreurs judiciaires ou des accusations non justifiées.

Songez que l'affaire a duré 18 ans au total... et qu'on sait depuis 12 ans que l'histoire était inventée.