L'autre nuit, j'avais pourtant écrit 100 fois dans mon cahier d'écolier: «Je ne me chicanerai plus avec mes camarades journalistes...»

Je vais presque tenir parole aujourd'hui, n'ayez pas peur, je me suis calmé.

Parlons du pour et du contre des commissions d'enquête.

Je vais commencer par donner raison à Lysiane Gagnon sur ceci: les commissions d'enquête sont de lourdes machines, toujours trop chères et qui font parfois des dommages collatéraux pour des résultats souvent insaisissables. Pas un bon rapport qualité-prix.

 

Mais est-ce à dire qu'elles ne font jamais oeuvre utile?

Distinguons d'abord les deux grands types de commissions d'enquête. Il y a celles qui font suite à un scandale, généralement avec des allégations criminelles en arrière-fond. C'est le type judiciaire: elles sont présidées par un juge et ressemblent à une sorte de procès sans acte d'accusation mais avec plusieurs suspects.

Il y a ensuite le type social ou politique. Commission d'enquête sur le système de santé, sur la réforme de la Constitution, sur l'économie canadienne, sur le développement de Montréal, sur la situation des Premières Nations, sur les accommodements raisonnables, etc.

Celles-ci sont présidées par des spécialistes du domaine. Elles visent à décrire une situation critique et à formuler des recommandations au gouvernement pour modifier les lois, réformer des programmes, prendre action dans une direction donnée.

Dans tous les cas, les commissions d'enquête servent des fins politiques. Aucun gouvernement ne déclenche un tel exercice sans y être obligé ou en avoir un urgent besoin. La commission Gomery était l'alibi de Paul Martin: je n'ai tellement rien à me reprocher que je déclenche une enquête publique. La commission Bouchard-Taylor fut la réponse de Jean Charest à Mario Dumont.

Dans tous les cas également, il est rare que les gouvernements suivent aveuglément les recommandations des commissaires, que ce soit pour des raisons politiques ou pratiques.

Les commissaires sont très fiers de leurs recommandations, soigneusement formulées. Mais leur utilité véritable est plus modeste: établir des faits méthodiquement.

Dans la commission Gomery, c'était le détournement frauduleux d'un programme gouvernemental, notamment au profit du Parti libéral du Canada. Dans la commission Bouchard-Taylor, c'était le dégonflage d'une crise largement fabriquée. Quoi qu'en disent leurs auteurs, je les ai trouvées pertinentes et utiles.

Si un problème exposé par une commission n'a pas été réglé, doit-on en conclure qu'elle a été inutile? C'est un peu court.

Il y a 35 ans, la commission Cliche a exposé le système mafieux de la construction au Québec. Il y a encore une infiltration du crime organisé dans l'industrie de la construction et la FTQ-Construction a de drôles d'accointances et de pratiques. Faut-il en conclure que la commission Cliche n'a servi à rien, sinon à glorifier ses participants?

Non. Le ménage est toujours à refaire. Les raisons qui ont attiré le crime organisé dans la construction dans les années 1970 sont les mêmes qu'aujourd'hui. Périodiquement, il faut exposer les systèmes mafieux pour les casser. On ne fabrique pas un homme nouveau pour autant.

C'est un peu comme dire que les procès pour les crimes de guerre ne servent à rien, puisque, de toute manière, on a eu beau juger les nazis à Nuremberg, d'autres génocidaires ont vu le jour depuis.

Le monde est toujours à refaire.

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Dans le cas qui nous occupe, celui de l'intégrité de l'administration montréalaise, on peut arguer que des enquêtes policières suffiront.

Mais les enquêtes policières suffisent rarement à exposer un système. On peut sortir du panier quelques «pommes pourries». Ce seront quelques points de repère de la mécanique criminelle, sortis en pièces détachées. Une commission sert à relier ces points et à tracer le dessin d'une organisation.

Plusieurs faits indiquent qu'un système criminel est ou a été à l'oeuvre à l'hôtel de ville, y compris probablement le niveau politique. Il se peut qu'une partie soit exposée par le résultat des enquêtes en cours (au moins cinq, selon la SQ), et c'est pourquoi une relative patience est défendable. Mais la perspective policière est pointue par définition. La commission Gomery a fait la démonstration d'une organisation politique du scandale, que les condamnations à la pièce ne faisaient que suggérer vaguement.

On a lancé un formidable avertissement à la classe politique comme à la fonction publique partout au Canada. Mais évidemment, il ne suffit pas de dire «plus jamais la guerre», c'est vrai.

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On peut réduire ces exercices à des spectacles médiatiques. Je crois au contraire qu'ils donnent des anticorps à la démocratie, qu'ils servent de contrepoids remarquables quand il n'y a pas d'autre manière d'étaler intelligemment la vérité.

Il reste à dompter ces bêtes, devenues démesurément coûteuses, en ciblant de mieux en mieux leur mandat et en organisant soigneusement leur horaire.

Mais ne les condamnons pas d'avance. Elles ont des vertus pédagogiques sans pareil, qui dépassent largement la thérapie de groupe de fin de semaine.