Oh, qu'il était fâché, le maire Tremblay. Une sainte colère après une longue semaine.

Pourquoi votre parti paie-t-il vos bonbons et vos décorations d'Halloween et vos lunettes? lui a demandé mon collègue Éric Clément, vendredi. Le matin même, Le Devoir avait publié un article révélant ces détails.

Le maire, réputé frugal, ne l'a pas pris. Pompé, le maire! Lui qui voyage en classe économique ne le prend pas de se faire poser des questions sur les dépenses que son parti lui rembourse. Privé, tout ça.

 

Pas tout à fait, pourrait-on lui rétorquer, puisque l'argent de son parti vient de dons déductibles aux fins de l'impôt. D'autre part, les partis reconnus jouissent de certains avantages fiscaux.

Mais admettons que la campagne ne se gagnera pas sur les bonbons d'Halloween. Admettons aussi que le maire, personnellement, est irréprochable question dépenses personnelles. Et puis ce fut l'une des plus grosses semaines de sa carrière, avec un début de campagne et un débat contre Louise Harel en prime (débat qu'il a gagné magistralement, au fait).

Sauf que la nouvelle, ce n'est pas qu'il se soit fâché vendredi. C'est qu'il ne se fâche jamais quand il le faut.

Colères perdues

Voyez comme est mystérieux chez Gérald Tremblay le mécanisme de l'impatience.

L'avez-vous entendu piquer une colère contre Frank Zampino, quand La Presse a écrit qu'il fréquentait l'entrepreneur Tony Accurso, bénéficiaire avec d'autres du contrat géant des compteurs d'eau?

Mardi, était-il en colère, 12 heures après que le vérificateur de la Ville eut remis son rapport?

Pas du tout. Il avait son air d'épagneul privé de chasse. Que nous a-t-il annoncé? Le départ des deux hauts fonctionnaires les plus importants de la Ville - le directeur général, Claude Léger, et Robert Cassius de Linval, responsable des affaires corporatives. Rien que ça!

Les a-t-il congédiés? Jamais de la vie. C'est d'un «commun accord» qu'ils ont décidé de partir devant ce dossier «indéfendable», avec une indemnité de départ à la clé.

Il me semble que, s'ils ont une part de responsabilité dans ce gâchis, ça doit être choquant pour le maire, non? Ce maire ne savait rien, souvenez-vous-en. J'imagine qu'eux savaient des choses qu'ils n'ont pas dites, sinon ils devraient rester là, non? Sont-ils partis sans raison?

Le maire, en tout cas, n'était pas du tout fâché contre eux. Il semblait compatir. Leur gestion était indéfendable, c'est lui qui l'a dit. Mais il n'était pas fâché.

Les mêmes hommes étaient impliqués dans le dossier tout aussi nébuleux du Faubourg Contrecoeur. Vous vous souviendrez que, au mois d'avril, l'ancien vérificateur de la Ville nous a dit que M. Léger était au courant des risques financiers liés à ce dossier. Souvenez-vous de la vente de terrains à un prix moindre que l'évaluation à l'entrepreneur Frank Catania. M. Léger est allé de l'avant néanmoins dans ce dossier. M. Cassius de Linval, lui, avait présidé à la transformation de la structure de la SHDM, devenue une OBNL sur laquelle les élus n'avaient plus aucun droit de regard.

Là encore, le vérificateur avait trouvé tellement d'irrégularités dans la gestion de la Société d'habitation de Montréal qu'il en avait référé à la police.

Me semble que c'est choquant, ça, pour un maire? Me semble que c'était le temps de faire une belle grosse colère juteuse, quitte à écraser ses lunettes sur le plancher et à s'en faire payer une nouvelle paire?

Eh non, le maire a encore oublié d'être fâché cette fois-là.

L'épagneul et le camelot

En fait, les seules colères publiques qu'on lui connaît sont toutes contre les médias. Disons plutôt contre La Presse.

Rappelez-vous comme il était brave, le printemps dernier, quand il s'est mis à dénoncer notre journal: «Ce n'est pas La Presse qui va choisir le prochain maire de Montréal!» Oh, il avait du panache, il s'en allait à la guerre, le maire, il redresserait tous les torts médiatiques! Plein de collègues en ont été impressionnés; on en a même entendu s'interroger en ondes tout haut et gravement: La Presse complote-t-elle contre Gérald Tremblay?

Pourtant, sans les reportages de La Presse, de The Gazette, du Devoir et de Radio-Canada, entre autres, il n'y aurait pas eu de rapports du vérificateur général et le maire aurait continué à nous dire que tout a été fait selon les normes. C'est ce qu'il nous disait à propos du Faubourg Contrecoeur, des compteurs d'eau et du reste, malgré l'évidence.

Je veux bien qu'il s'énerve quand on lui pose des questions sur ses bonbons d'Halloween. Mais pourquoi a-t-il fait l'épagneul le reste du temps?

Drôle de bête. Le vérificateur lui dit qu'il y a des voleurs dans la maison. Mais c'est seulement le livreur de journal qui le fait japper.