Courir pour la forme, qu'on disait? S'entraîner pour le marathon, ce n'est plus courir pour la forme. Pour la forme, il suffit de trois bonnes sorties par semaine. Pour la forme, nul besoin de tout chronométrer, mesurer, jauger.

C'est pour la performance que je me suis entraîné cet été, ce qui suppose une perspective totalement différente.

Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite, ou plus exactement, je ne me le suis avoué que tout récemment.

Il y en a qui courent pour le pur plaisir de la course, sans chrono, sans se casser la tête, en goûtant l'air et l'espace. Moi, dès le départ, j'ai eu besoin d'une date et d'un objectif. Comme j'ai commencé par des courses de 10 km, l'entraînement n'était pas trop lourd. Je ne me souciais pas non plus des accélérations. Je courais, tout simplement. Chez moi, ou en reportage à Winnipeg ou Bathurst ou n'importe quel endroit où m'envoyait le travail. Il n'y avait pas vraiment de différence entre la course-plaisir et la course-performance. J'étais content de courir et, en effet, je me suis rapidement mis en forme.

 

Après quelques courses organisées de 10 km, je me suis dit qu'il était temps de passer aux choses plus sérieuses. J'ai augmenté le volume pour me préparer à un demi-marathon. Encore là, rien de terriblement assommant. C'était l'hiver, et je me promenais un peu incrédule au milieu des bancs de neige avec pour tout chauffage le charbon de mon effort. J'étais encore en visite au pays de l'effort.

Le printemps venu, après deux demis, je me suis dit qu'il était temps d'y aller pour l'entier. Sur papier, ça paraissait simplement une marche de plus à grimper. Cinq jours de course par semaine au lieu de quatre. Quinze minutes de plus ici, une demi-heure là... Bof! Y'a rien là!

Et c'est ainsi que je me suis retrouvé dans la moiteur d'un matin de juillet en Caroline-du-Nord à courir deux heures et 10 sans autre joie que celle de «faire du temps».

C'était une sorte de point de bascule au-delà duquel le coureur récréatif se rend bien compte qu'il ne court vraiment plus pour la forme. À cette sensation d'euphorie qui suit la course se substitue un léger accablement. Une douleur ici. Une irritation là. Et ce chrono qui vous surveille, ces kilomètres à avaler, encore un peu allez, allez...

Puis, on va visiter une kinésiothérapeute pour se faire dire qu'on peut encore avancer, qu'on n'est pas foutu. Parce qu'on a parfois l'impression d'être foutu. Que cette vaste imposture va prendre fin. Je ne suis pas un vrai sportif, soyons sérieux.

Et sur la feuille de la kinésio, on voit qu'elle a coché « athlète «. C'est un gros mot, athlète! Vous croyez, vraiment?

Il n'y a plus moyen de jouer les dilettantes. C'est pour de vrai, cette fois. Et c'est très bien.

Ce n'est pas du tout pour la forme, pas pour la santé, des choses qui supposent une forme d'équilibre.

C'est pour aller trop loin. Mettre un pied de l'autre côté de mes limites. C'est pour l'excès, sans savoir si on y parviendra.

Je l'avoue, c'est pour l'exploit.