Vincent Lacroix essaie d'éviter son procès criminel par tous les moyens, mais il n'a pas une chance sur mille de réussir.

Son avocate, Marie-Hélène Giroux, demande l'arrêt pur et simple des procédures, arguant que Lacroix ne peut avoir un procès juste, étant déjà condamné par l'opinion publique.

Elle avance plusieurs bons arguments... mais malheureusement pour son client, ils ont tous été essayés par le passé, et ils ont tous échoué.

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Il est vrai de dire que quand le premier ministre du Québec vous traite de bandit à la télé, ça ne passe pas inaperçu. Mais est-ce que, pour autant, il devient impossible de vous juger?

En 1982, 11 agents de la GRC subissaient un procès devant jury pour entrée par effraction dans les locaux du Parti québécois et vol des listes de membres. En plein milieu du procès, abondamment couvert, un témoin s'est permis diverses accusations sans fondement sur le PQ.

En Chambre, le jour même, René Lévesque a fait une sortie de 20 minutes contre les agents ayant participé à ce «cloaque politico-financier», puis contre le gouvernement fédéral, et la GRC, et le témoin, bref, la totale.

Les unes des journaux, les téléjournaux, la radio ne parlaient que de ça. La juge Claire Barrette-Joncas n'avait guère le choix que de faire avorter le procès.

On allait reprendre le procès à zéro avec un nouveau jury, mais les accusés ont plaidé qu'il serait impossible de trouver un jury impartial. Le juge Benjamin Greenberg leur a donné raison: il a décrété l'arrêt des procédures.

L'affaire s'est transportée jusqu'en Cour suprême qui, en 1988, a ordonné la tenue du procès. Certes, le premier ministre avait violé la règle voulant qu'un politicien ne commente pas une affaire judiciaire en cours. Mais «l'abdication judiciaire n'est pas le remède», avait écrit le juge Gérald Laforest.

C'est d'autant plus vrai dans une affaire aussi importante, s'agissant d'accusations graves concernant des dirigeants du gouvernement fédéral, avait-il ajouté.

«Le public a droit à ce que ces accusations soient éclaircies par le judiciaire, avait-il écrit. Je ne peux admettre que des remarques irréfléchies d'hommes politiques puissent mettre en échec tout le processus judiciaire.»

Ces remarques s'appliquent parfaitement à l'affaire Lacroix. D'autant plus que, depuis 20 ans, la Cour suprême a dit et redit qu'il faut faire confiance à la capacité des jurés de ne juger qu'à partir de la preuve, et pas sur leurs impressions. Le jury ne sera choisi que le 14 septembre et il sera alors possible de bien le mettre en garde.

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Oui, mais les médias décrivent Lacroix comme une crapule depuis des mois! Qui peut croire à son innocence à Montréal?

Les Hells Angels, à la veille des mégaprocès suivant Printemps 2001, avaient essayé le même argument. Y a-t-il un seul citoyen à ne pas s'être fait une idée sur les Hells Angels?

S'il existe, ce citoyen est sans doute trop «innocent» pour être un juré utile...

Tel n'est pas le test, ont répondu les juges. Ce qu'il faut, ce n'est pas un juré vierge de toute opinion et ignorant au degré suprême. Ce qu'il faut, ce sont des citoyens honnêtes capables de mettre de côté leurs idées préconçues pour juger des individus en particulier pour des crimes précis en se fondant uniquement sur la preuve présentée devant eux. Et ça, il y a moyen d'en trouver en grand nombre sans changer de planète.

Sinon, plus le crime serait énorme, plus il deviendrait impossible de le juger.

Par ailleurs, il y a eu une détermination légale de la culpabilité de Lacroix à des infractions provinciales sur les valeurs mobilières. Il est normal qu'il y ait une discussion publique de ce dossier.

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Reste l'épineuse question du «double péril». On ne peut pas être jugé deux fois pour la même infraction... devant la cour criminelle. Autrement dit, si on est acquitté pour un crime et que trois ans plus tard on trouve une nouvelle preuve, on ne peut être jugé de nouveau. De même, si l'on est condamné, on ne peut pas être jugé une deuxième fois.

Mais il faut que cela soit en vertu du Code criminel, pas d'une loi particulière. On peut fort bien être jugé deux fois pour les mêmes actes: une fois devant une corporation professionnelle (pour avoir manqué à son devoir d'avocat) et une fois devant la cour criminelle (pour vol), par exemple. On peut également être forcé de témoigner devant une commission d'enquête (et donc en principe s'incriminer), puis jugé au criminel. Pensez à Jean Lafleur et la commission Gomery.

Dans le cas de Lacroix, il a répondu de ses actes en tant que violation à la loi sur les valeurs mobilières: avoir transmis de l'information mensongère et influencé le marché. Il a été condamné à cinq ans moins un jour, ce qui est la peine maximale. Cette loi vise à punir ceux qui mettent en péril l'intégrité des marchés.

Pour les mêmes faits, il peut fort bien être jugé au criminel pour fraude (peine maximale de 14 ans). Dans ce cas-là, il répond d'un crime à la société en général pour avoir dépouillé des individus et violé l'ordre public.

Voilà deux lois qui ont deux finalités distinctes.

L'argument porte d'autant moins que la peine vient d'être ramenée à cinq ans, plutôt que les douze du départ, qui ressemblaient à une peine pour fraude.

Lacroix ne peut pas échapper aux conséquences les plus graves parce qu'il a subi son procès pour l'aspect plus technique de ses violations.

Tout ça pour dire que je serais l'homme le plus étonné si Lacroix réussissait à convaincre le juge Claude Wagner de le laisser échapper à la justice criminelle.

Robinson

J'ai nommé souvent les vilains, dans l'affaire Claude Robinson, mais je me rends compte que je n'ai nommé qu'en passant l'avocate qui a gagné ce procès long et difficile pour lui. Elle s'appelle Florence Lucas et elle mérite mille bravos.