Appelons ça un excellent début. Il reste maintenant à arrêter Ronald Weinberg pour fraude, fabrication de faux et usage de faux.

J'ai bien lu qu'il a comploté avec le Français Christophe Izard pour dépouiller Claude Robinson de ses droits d'auteur, non? J'ai bien lu qu'avec la complicité de plusieurs, dont des employés de Cinar (notamment des membres du barreau, oui madame) et France Animation, il a rédigé de faux documents pour obtenir du financement? Qu'il a signé des déclarations avec des gens qui n'existent pas pour toucher des droits d'auteur, n'est-ce pas?

Feu Micheline Charest et Weinberg appelaient ça l'opération wash, comme dans blanchiment.

J'appelle ça une fraude caractérisée. Alors, cette fois, qu'est-ce qu'on attend pour arrêter cet escroc de Weinberg?

 

Le juge Claude Auclair, de la Cour supérieure, qui vient de signer ce jugement de 240 pages donnant raison à Claude Robinson, n'a pas la réputation d'être un exalté. Sa démonstration est difficilement contestable. Si ce jugement n'est pas dès ce matin sur le bureau des enquêteurs des crimes financiers de la police de Montréal pour analyse, c'est à n'y rien comprendre.

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Il s'appelle Robinson et, comme le héros échoué sur une île déserte, il s'est retrouvé un beau jour seul, dans la situation la plus désespérée.

Pensez-y: un homme vient vous raconter en 1995 que les dirigeants de Cinar lui ont volé un projet de série d'animation. Comme si des gens aussi respectables et adulés du milieu des affaires que Micheline Charest et Ronald Weinberg, à la tête d'une société cotée en Bourse à hauteur d'un milliard et plus, comme si ces gens-là faisaient des choses comme ça.

Franchement!

Il avait appelé sa série Robinson Curiosité. Et eux avaient produit, avec France Animation, Robinson Sucroë. Et alors? Depuis des siècles on pastiche Robinson Crusoé, voyons!

Et ce Robinson, ce graphiste, ce moins que rien, s'en allait en guerre non seulement contre Cinar et ses deux fondateurs, des chouchous de l'industrie, mais en plus contre France Animation, la BBC de Londres et Ravensburger Film en Allemagne, qui ont diffusé l'oeuvre. Rien que ça!

Ce n'était pas Robinson Crusoé, c'était Don Quichotte de Pointe Saint-Charles contre tous les moulins du monde.

Il se trouve tout de même qu'un des meilleurs avocats de Montréal, Marc-André Blanchard, a cru à cette histoire. Il a convaincu son bureau (Gowlings) de ne pas facturer les honoraires avant le jugement. C'était un pari de centaines de milliers de dollars dès le départ, et il n'y en a pas beaucoup en ville qui l'auraient pris, encore moins aujourd'hui que les ordres financiers dans nos grands bureaux viennent de Toronto. Sans cette bouée, reprise par l'avocate Florence Lucas quand Blanchard a été nommé juge, on n'aurait pas ce jugement.

Pendant des années, Robinson a fait face à des manoeuvres pour l'épuiser, que le juge relate: requêtes pour empêcher des témoignages, orgies d'objections, tentatives de séparer le procès, etc. «Rares sont les individus qui, dans l'adversité, continuent leur combat et s'acharnent à vouloir faire triompher la vérité», écrit le juge.

Robinson est un homme assez rare en effet.

Je l'ai rencontré de temps en temps depuis une douzaine d'années. Chaque fois, il avait trouvé une nouvelle preuve incroyable. Souvent, je me disais qu'il en mettait un peu. Mais chaque fois, c'était vrai. Précisément et rigoureusement vrai.

Et en fouillant comme un fou, ce tout-nu allait découvrir les magouilles de financement de Cinar et jeter à terre cette si belle entreprise...

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Quand Robinson a découvert le plagiat, en voyant «sa face» à Télétoon, en 1995, il a porté plainte à la GRC. Weinberg et Charest ont immédiatement dit qu'ils ne connaissaient même pas ce gars-là. Robinson Curiosité? Jamais entendu parler de ça.

Faut le faire! Ils avaient été payés 30 000$ en 1986 pour présenter le projet aux États-Unis pendant six mois. Ils ont assisté à des réunions jusque dans les studios de Disney, ils ont fait des appels, ont suivi le projet pas à pas. Et c'est leur associé américain de l'époque qui le confirme: il y a eu plus de 25 rencontres et entretiens sur ce projet avec eux.

Des témoins ont vu Micheline Charest sortir les planches de Robinson. Sa secrétaire l'a vue les apporter en France, à une époque où elle était censée les avoir détruites, puisque son contrat avec Robinson était terminé. Plusieurs éléments du projet, et pas des moindres, sont repris dans Sucroë. Mais Weinberg et Charest avaient trouvé leur «auteur» pour blanchir l'oeuvre, Christophe Izard, réalisateur de plusieurs séries pour enfants en France.

Izard, qui se présentait en cour avec le ruban de la Légion d'honneur, n'a pas impressionné le juge, qui le traite en d'autres mots de faux cul et de sale menteur. Il est évident qu'il a eu accès à l'oeuvre de Robinson. Il est complice de Weinberg et Charest. Comme l'est aussi Christian Davin, PDG de France Animation à l'époque, qui, avec un cynisme suave, a témoigné des fausses factures de Cinar: je ne leur en veux pas, dit-il, «cela fait partie des petites choses que les producteurs se font entre eux».

Du beau monde, en vérité.

Non seulement le juge Auclair ordonne le paiement de sa part des profits de cette série à Robinson, mais il ordonne le remboursement de ses honoraires d'avocat et, surtout, condamne les défendeurs à verser 1 million en dommages exemplaires. Un «message clair aux contrefacteurs», pour «punir ces bandits à cravate ou à jupon» et leur «conduite scandaleuse, infâme et immorale».

Ces mots-là arrivent très tard, mais ils font du bien.

À la police de reprendre l'affaire, maintenant.